L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
cette route difficile ; il savait par où l’on pouvait descendre dans tel ravin, et à quel endroit tel ruisseau était guéable. Une ou deux fois Henry crut qu’il leur serait impossible d’avancer plus loin ; mais l’adresse et l’expérience de son guide triomphaient de toutes les difficultés. Après avoir marché, et l’on pourrait dire couru pendant trois heures, Harvey quitta tout à coup un chemin qui les conduisait à l’est, et se dirigea à travers les montagnes du côté du sud. C’était, dit-il à son compagnon, pour éviter les patrouilles qui se faisaient constamment à l’entrée des montagnes vers l’est, et pour abréger leur route en suivant une ligne directe. Après avoir atteint le sommet d’une très-haute montagne, Harvey s’arrêta, s’assit à côté d’un petit ruisseau, ouvrit une valise qui avait occupé la place ordinairement destinée à sa balle, en tira quelques provisions, et invita son compagnon à partager son repas frugal. Henry avait pu suivre le pas agile du colporteur, car chez lui l’agitation suppléait aux forces physiques dans cette circonstance. L’idée d’une halte lui déplut tant qu’il existait une possibilité que la cavalerie les devançât pour leur couper la retraite à travers le territoire neutre. Il communiqua ses craintes à Harvey, et lui dit qu’il désirait continuer à marcher.
– Suivez mon exemple, capitaine Wharton, répondit Harvey en commençant son repas, et réparez vos forces. Si la cavalerie est partie, il est impossible que nous prenions l’avance sur elle ; et si elle ne l’est pas, on lui taillera de la besogne qui ne lui laissera pas le temps de songer à nous.
– Vous m’avez dit vous-même qu’il était important que nous eussions deux heures d’avance ; mais si nous nous arrêtons ici, nous perdrons l’avantage que nous avons gagné.
– Ces deux heures sont passées, capitaine Wharton, et le major Dunwoodie ne pense guère en ce moment à poursuivre deux hommes, quand il sait qu’il y en a des centaines qui l’attendent du côté du Croton.
– Silence ! Birch, écoutez ! j’entends une troupe de cavalerie qui passe au pied de la montagne ; je les entends même rire et causer ensemble. De par le ciel ! c’est la voix de Dunwoodie. Je l’entends rire avec un de ses camarades. Il paraît qu’il ne s’inquiète guère des dangers que court son ancien ami. Il faut que Frances ne lui ait pas remis mon billet.
En entendant la première exclamation du capitaine, Harvey s’était levé sur-le-champ, et s’approchant du bord de la montagne avec précaution, en avançant la tête de manière à avoir le corps caché par l’ombre des rochers, et à ne pouvoir être vu de si loin, il examina la route que suivaient les dragons. Il resta dans cette position jusqu’à ce qu’il n’entendit plus le bruit de leur marche, après quoi il vint se rasseoir et continua tranquillement son repas frugal.
– Vous avez encore bien du chemin, capitaine Wharton, dit-il, et un chemin fatigant. Vous feriez mieux de manger un morceau comme moi. Vous paraissiez avoir bon appétit sur le rocher de Fishkill ; la marche vous l’a-t-elle donc ôté ?
– Je croyais alors être en sûreté ; mais ce que ma sœur m’a appris ne me laisse pas sans inquiétude, et je ne saurais manger.
– Vous avez moins raison d’en avoir à présent qu’en quelque moment que ce soit, depuis le jour où vous avez refusé de suivre mon avis et de partir avec moi des Sauterelles. Le major Dunwoodie n’est pas homme à rire et à plaisanter, quand il sait que son ami est en péril. Allons ! allons ! mangez un morceau : nous ne rencontrerons pas de cavalerie, si nos jambes peuvent encore nous porter quatre heures, et si le soleil reste derrière les montagnes aussi longtemps que de coutume.
Le colporteur parlait avec un ton d’assurance qui donna de la confiance à Henry, et ayant résolu de s’abandonner entièrement aux conseils de son guide, il sentit renaître son appétit et se laissa persuader de faire un souper passable, si l’on prend en considération la quantité plutôt que la qualité. Après avoir terminé leur repas, le colporteur se remit en marche.
Henry suivit son conducteur avec une soumission aveugle. Pendant deux heures, ils continuèrent encore à marcher dans les défilés difficiles et dangereux des montagnes, sans suivre aucune route tracée, sans autre guide que la lune qui voyageait dans les
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