L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
par une intrépidité à toute épreuve quand l’occasion l’exigeait. Il vit sur-le-champ que l’avantage était pour lui, et il résolut d’en profiter. La colonne qu’il conduisait commença à se retirer lentement, et le jeune Allemand qui commandait la cavalerie ennemie, craignant de perdre une victoire facile, donna l’ordre de charger. Peu de troupes avaient plus d’impétuosité que les Vachers ; ils s’élancèrent avec une confiance que leur inspiraient la retraite de l’ennemi et la marche de la colonne qui formait l’arrière-garde. Les Hessois les suivaient plus lentement, mais en meilleur ordre. Les trompettes des Virginiens firent alors entendre des sons vifs et prolongés, et celles du détachement qui était en embuscade y répondirent avec une force qui porta la terreur dans le cœur des ennemis, la colonne de Dunwoodie fit volte-face au même instant, et lorsque l’ordre de charger fut donné la troupe de Lawton se montra, le capitaine en tête, en faisant brandir son sabre, et en animant ses soldats par les accents d’une voix qui se faisait entendre au-dessus des sons d’une musique martiale.
Cette double charge parut trop menaçante aux Vachers ; ils prirent la fuite sur-le-champ, et se dispersèrent de différents côtés avec toute la vitesse de leurs chevaux, l’élite de ceux de West-Chester. Un petit nombre d’entre eux seulement furent blessés, mais ceux que frappa le bras vengeur de leurs concitoyens ne vécurent pas assez longtemps pour dire quel était celui qui leur avait porté le coup fatal. Ce fut sur les pauvres vassaux d’un prince allemand que tomba le choc. Accoutumés à une discipline sévère et à une obéissance passive, ces malheureux soutinrent la charge avec intrépidité ; mais ils furent balayés par les chevaux pleins de feu et le bras nerveux de leurs antagonistes, comme des brins de paille enlevés par le vent. Plusieurs d’entre eux furent littéralement écrasés sous les pieds des chevaux, et le champ de bataille n’offrit bientôt plus un seul ennemi aux yeux de Dunwoodie. Le voisinage de l’infanterie anglaise empêcha de les poursuivre, et ce fut derrière ce corps que ceux des Hessois qui échappèrent en petit nombre sans blessure allèrent se rallier.
Les Vachers, plus adroits, se divisèrent en petites bandes ; et, prenant divers chemins détournés, ils regagnèrent leur ancienne position devant Harlaem. Plus d’un cultivateur paisible eut à souffrir de cette déroute dans sa personne, dans ses bestiaux et dans ses biens ; car la dispersion d’un corps de Vachers ne faisait qu’étendre leurs ravages sur un plus grand terrain.
On ne pouvait s’attendre qu’une pareille scène se passât si près des Sauterelles sans que les habitants de cette maison prissent un grand intérêt au résultat qu’elle aurait. Dans le fait, cet intérêt se faisait sentir dans tous les cœurs, depuis le salon jusqu’à la cuisine. La terreur et l’horreur avaient empêché les dames d’être spectatrices du combat. Frances continuait à rester dans l’attitude que nous avons décrite, offrant au ciel des prières pour la sûreté de ses concitoyens, quoique sa nation prît au fond de son cœur les traits gracieux du major Dunwoodie. La dévotion de sa tante et de sa sœur était moins exclusive ; mais le triomphe qu’espérait Sara lui causait moins de plaisir à mesure que le témoignage de ses sens lui faisait sentir les horreurs de la guerre.
Les habitants de la cuisine de M. Wharton étaient au nombre de quatre : César et sa femme, leur petite-fille, négresse âgée de vingt ans, et le jeune homme dont il a déjà été parlé. Les nègres étaient le reste d’une race d’esclaves importés sur le domaine par un des ancêtres maternels de M. Wharton, qui descendaient des premiers colons hollandais. Le temps, la dépravation des mœurs et la mort les avaient réduits à ce petit nombre ; et le jeune homme qui était blanc avait été ajouté à l’établissement par miss Peyton, pour aider à tous les ouvrages de la maison et remplir les fonctions ordinaires de laquais. César, après avoir pris la précaution de se placer à l’abri d’un angle de la muraille, pour se mettre en sûreté contre toute balle perdue qui pourrait arriver de ce côté, devint spectateur de l’action, et y prit intérêt. La sentinelle en faction sur la terrasse n’était qu’à quelques pas de lui, et il entrait dans l’esprit de la
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