L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
osé commettre encore un meurtre de sang-froid ? Ne leur suffit-il pas de s’être couverts du sang du malheureux André ? Et quel motif alléguaient-ils pour vous faire une pareille menace ?
– Le même qu’ils mirent en avant pour faire périr André, répondit le capitaine ; et il raconta au groupe d’officiers qui s’étaient rassemblés autour de lui la manière dont il avait été arrêté, ses motifs d’appréhension personnelle, et le moyen qu’il avait employé pour s’échapper. Comme il finissait sa narration, les Hessois fugitifs s’étaient réunis derrière la colonne d’infanterie, et le colonel Wellmere s’écria :
– Je vous félicite de toute mon âme, mon brave ami. La miséricorde est une vertu que ces traitres ne connaissent pas, et vous êtes doublement heureux de vous être échappé de leurs mains et de n’avoir souffert aucune insulte personnelle. Préparez-vous maintenant à nous donner votre aide, et je vous fournirai bientôt de nobles moyens de vengeance.
– Je ne crois pas, colonel Wellmere, répondit Wharton, son visage prenant un coloris plus animé, que personne pût avoir des insultes personnelles à craindre de la part d’une troupe commandée par le major Dunwoodie. Son caractère le met au-dessus d’une telle imputation, et je pense qu’il ne serait pas très-prudent de traverser cette rivière pour entrer dans cette plaine découverte, en face de cette cavalerie virginienne dont l’ardeur doit être plus enflammée que jamais par le succès qu’elle vient d’obtenir.
– Appelez-vous un succès la déroute de ces Vachers indisciplinés, de ces automates hessois ? Vous parlez de cette affaire et de votre fameux Dunwoodie, car je ne lui accorde pas le titre de major, comme si les gardes du roi avaient été battus.
– Et vous me permettrez de vous dire, colonel, que si les gardes du roi se trouvaient en face de cette cavalerie, ils verraient qu’ils n’ont pas affaire à un ennemi si méprisable. Savez-vous que M. Dunwoodie est un des officiers les plus estimés de l’armée de Washington ?
– Dunwoodie ! répéta le colonel, je connais ce nom, et je crois avoir vu quelque part l’individu qui le porte.
– On m’a dit que vous l’aviez vu un instant dans la maison de mon père à New-York.
– Ah ! je me rappelle le jeune homme, dit Wellmere avec un sourire ironique ; et voilà à quels guerriers le tout-puissant congrès confie la conduite de ses troupes !
– Demandez au commandant de vos Hessois s’il croit le major Dunwoodie digne de cette confiance, s’écria Henry mécontent d’entendre parler d’un ton si léger de son ancien ami, et dans un moment si peu convenable.
Wellmere était loin de manquer de cette espèce d’orgueil qui fait qu’un homme se conduit avec bravoure en face de l’ennemi. Il avait servi assez longtemps en Amérique, mais il n’avait jamais eu affaire qu’à de nouvelles recrues ou aux milices du pays.
Ces troupes combattaient quelquefois et même avec courage ; mais il leur arrivait aussi souvent de prendre la fuite sans brûler une amorce. Il avait trop de penchant à juger des choses par l’extérieur, et il croyait impossible que des hommes dont les guêtres étaient si propres, qui marchaient avec tant de régularité, et qui faisaient un quart de conversion avec une précision si exacte, fussent jamais battus. Outre ces avantages, ils avaient celui d’être Anglais, et par conséquent leur triomphe était certain. Le colonel Wellmere avait vu peu de champs de bataille, sans quoi il aurait vu s’évanouir depuis longtemps ses idées qu’il avait apportées d’Angleterre et qu’avaient nourries et augmentées les préjugés d’une ville de garnison. Il écouta la réplique un peu vive du capitaine Wharton avec un sourire hautain, et lui dit ensuite :
– Vous ne voudriez sûrement pas, Monsieur, que nous fissions retraite devant cette fameuse cavalerie sans essayer de lui enlever une partie de la gloire dont vous croyez qu’elle vient de se couvrir ?
– Je voudrais, colonel, que vous fissiez quelque attention au danger auquel vous vous exposez.
– Le danger est un mot que ne connaît pas le soldat, dit le colonel en ricanant.
– Donnez l’ordre de marcher, s’écria Wharton, et l’on verra si un capitaine du 60 e régiment craint plus le danger que qui que ce soit qui porte l’uniforme des gardes.
– Je reconnais mon ami à cette chaleur, dit le colonel
Weitere Kostenlose Bücher