L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
où vous voyez tant de corps accumulés. – Ah ! la balle n’a fait que passer dans les chairs ; elle n’a pas touché l’os. Vous êtes heureux d’être tombé dans les mains d’un vieux praticien, sans quoi vous auriez pu perdre le bras.
– Vraiment ! dit Henry avec une légère inquiétude ; je ne croyais pas la blessure si sérieuse.
– Oh ! la blessure n’est rien, répondit le chirurgien fort tranquillement ; mais le plaisir de couper un pareil bras aurait pu tenter un novice.
– Comment diable ! s’écria le capitaine saisi d’horreur ; quel plaisir peut-on trouver à mutiler un de ses semblables ?
– Monsieur, répondit le chirurgien avec beaucoup de gravité, une amputation scientifique est une fort jolie opération ; et sans contredit, dans la presse du moment, un apprenti pourrait fort bien être tenté de ne pas y regarder de très-près.
La conversation fut interrompue par l’arrivée des dragons, et plusieurs soldats légèrement blessés vinrent réclamer à leur tour les soins du docteur.
Les guides se chargèrent de la personne de Henry, et le jeune homme, dont le cœur ne battait pas de plaisir, fut reconduit dans la maison de son père.
Les Anglais avaient perdu dans cette affaire environ le tiers de leur infanterie, mais le reste s’était rallié dans le bois, et Dunwoodie, jugeant qu’il serait imprudent de l’y attaquer, avait laissé dans les environs un fort détachement commandé par le capitaine Lawton, avec ordre d’en surveiller les mouvements, et de saisir toutes les occasions de harceler les ennemis avant qu’ils se rembarquassent.
Le major avait appris qu’un autre corps anglais arrivait du côté de l’Hudson, et son devoir exigeait qu’il se tînt prêt à le recevoir, pour en déjouer aussi les intentions. En donnant ses ordres au capitaine Lawton, il lui recommanda fortement de n’attaquer l’ennemi qu’autant qu’il en trouverait une occasion favorable. Cet officier n’avait été qu’étourdi par une balle qui lui avait effleuré le sommet de la tête, et le major, en le quittant, lui ayant dit en riant que, s’il s’oubliait encore, on le croirait blessé dans cette partie importante du corps humain, ils marchèrent chacun de leur côté.
Ce détachement anglais n’avait avec lui aucuns bagages, n’ayant été chargé que de détruire certains approvisionnements qu’on avait appris se faire alors pour l’armée américaine. Il traversa le bois, gagna les hauteurs, et continuant à suivre une route inaccessible à la cavalerie, il se mit en retraite pour rejoindre les barques qui l’avaient amené.
CHAPITRE VIII
Tout le pays d’alentour fut dévasté par le fer et le feu ; la mère en couches et l’enfant nouveau-né périrent également ; mais de pareilles choses arrivent après une illustre victoire.
Anonyme.
Le silence avait succédé au dernier bruit du combat, et les habitants des Sauterelles, toujours plongés dans l’inquiétude, n’en connaissaient pas encore le résultat. Frances avait continué à faire tous ses efforts pour empêcher ces sons terribles d’arriver à ses oreilles, et elle cherchait en vain à s’armer de résolution pour entendre les nouvelles qu’elle craignait d’apprendre. Ce terrain sur lequel avait eu lieu la charge contre l’infanterie n’était qu’à un petit mille des Sauterelles, et dans l’intervalle des décharges, les cris des soldats y étaient mêmes parvenus. Après avoir vu son fils s’échapper, M. Wharton était allé rejoindre sa fille aînée et sa sœur dans la retraite qu’elles avaient choisie, et Frances, ne pouvant supporter plus longtemps une incertitude si pénible, s’était bientôt réunie à ce petit groupe. César fut chargé d’aller prendre quelques renseignements sur l’état des choses à l’extérieur, et de s’informer sous quelles bannières la victoire s’était rangée. Le père raconta alors à sa famille étonnée la manière dont Henry s’était échappé, et toutes les circonstances de son évasion. Les trois dames étaient encore plongées dans leur première surprise quand la porte s’ouvrit, et l’on vit paraître le capitaine Wharton, accompagné de deux des guides, suivis par César.
– Henry ! mon fils ! s’écria le père en lui tendant les bras, sans avoir la force de se lever de sa chaise, est-ce vous que je vois ? Êtes-vous de nouveau prisonnier ? Courez-vous encore risque de la vie ?
– La fortune
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