L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
traverser les grands lacs d’eau douce, ils serraient contre leurs membres leurs manteaux pour s’en garantir.
Elle vit disparaître à ses yeux le cercueil, dernière demeure du défunt, lorsqu’on le descendit lentement dans la fosse, et cette vue prêta une nouvelle tristesse au spectacle que lui offrait la nature. Le capitaine Singleton dormait, et le dragon qui le servait veillait avec soin près de son lit. On avait réussi à persuader à sa sœur d’aller prendre possession de la chambre qui lui avait été préparée, et de chercher à y goûter le repos dont l’avait privée le voyage qu’elle avait fait la nuit précédente. La porte de cette chambre donnait sur la galerie dont il a déjà été parlé, mais elle en avait une autre qui communiquait à l’appartement qu’occupaient les deux sœurs. Cette porte était entr’ouverte, et Frances s’en approcha dans l’intention charitable de voir comment se trouvait sa nouvelle compagne. À sa grande surprise, elle vit celle qu’elle croyait assoupie non seulement éveillée, mais occupée d’une manière qui ne permettait pas de supposer qu’elle songeât à se livrer au sommeil. Les tresses de cheveux noirs qui pendant le dîner étaient serrées autour de sa tête et attachées sur le sommet, tombaient avec profusion sur son sein et sur ses épaules, et donnaient un air presque égaré à sa physionomie expressive ; ses yeux noirs étaient fixés avec la plus vive attention sur un portrait qu’elle tenait en main. Frances put à peine respirer quand un mouvement d’Isabelle lui permit de voir que c’était celui d’un homme portant l’uniforme bien connu des dragons de Virginie ; mais elle appuya la main sur son cœur comme pour en calmer l’agitation quand elle crut reconnaître des traits toujours présents à son imagination. Elle sentit que les convenances ne lui permettaient pas de surprendre le secret d’une autre, mais son émotion était trop forte pour qu’il lui fût possible de parler, et reculant d’un pas, elle s’assit sur une chaise d’où elle pouvait encore voir Isabelle, sur qui ses yeux restaient attachés comme en dépit d’elle-même.
Miss Singleton était trop exclusivement occupée de ses propres idées pour apercevoir la jeune fille tremblante, témoin de ses moindres mouvements, et elle appuya ses lèvres sur ce portrait inanimé avec l’ardeur de la plus violente passion. L’expression de la physionomie de la belle étrangère était mobile. L’admiration et le chagrin étaient pourtant les deux passions qui semblaient avoir l’ascendant, et la dernière était indiquée par de grosses larmes qui tombaient de ses yeux sur le portrait à des intervalles inégaux. Chaque mouvement d’Isabelle était marqué par un enthousiasme qui était particulier à son caractère, et chaque passion triomphait à son tour dans son cœur. La fureur du vent qui sifflait autour des angles du bâtiment était en accord parfait avec ses sentiments, et elle se leva pour s’approcher d’une fenêtre de son appartement. Elle était alors entièrement cachée aux yeux de Frances, qui allait se lever pour s’approcher d’elle, quand des sons dont la mélodie allait au cœur l’enchaînèrent sur sa chaise. L’air avait quelque chose d’étrange ; la voix n’avait pas beaucoup d’étendue, mais l’exécution surpassait tout ce que Frances avait jamais ouï, et elle resta immobile, cherchant à étouffer le faible bruit de son haleine jusqu’à ce qu’Isabelle eût fini de chanter les paroles suivantes :
« Le vent souffle sur le sommet de la montagne ; les chênes qui la couvrent sont dépouillés de leur feuillage ; les vapeurs s’élèvent lentement de la fontaine ; la glace brille sur les bords du ruisseau, toute la nature cherche le calme de cette saison de l’année : mais le repos a abandonné mon sein. »
« La tempête a longtemps versé ses fureurs sur mon pays : longtemps ses guerriers en ont supporté le choc ; notre chef, boulevart élevé sur le rocher de la liberté, a longtemps ennobli son poste, l’ambition démesurée se relâche de ses prétentions, et cependant une tendresse malheureuse bannit le sourire de mes lèvres. »
« Au dehors on entend mugir la fureur sauvage de l’hiver ; on voit l’arbre aride dépouillé de ses feuilles ; mais le soleil vertical du sud paraît pour faire tomber sur moi sa chaleur dévorante. Au dehors on voit se montrer tous les signes
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