L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
j’aurais fait un beau marché.
– On ne peut confisquer ce qui m’appartient, répondit froidement le colporteur. Donnez-moi deux cents dollars, et la maison est à vous. Vous êtes un patriote bien connu, vous, et il n’y a pas de danger qu’on vous inquiète. Et tandis qu’il parlait ainsi, un ton étrange d’amertume se mêlait au désir qu’il montrait de se défaire de sa propriété.
– Dites cent dollars, et c’est une affaire conclue, reprit le Spéculateur avec une grimace qu’il voulait faire passer pour un sourire de bonté d’âme.
– Conclue ? répéta le colporteur avec surprise ; je croyais que tout avait été conclu ce matin.
– Il n’y a rien de conclu jusqu’à la remise de l’acte et le paiement du prix, répondit l’autre en se félicitant intérieurement de son adresse.
– Je vous ai remis le papier, s’écria Harvey.
– Oui, et je le garderai si vous voulez me dispenser de payer le prix, dit le Spéculateur en ricanant. Mais allons, je ne veux pas être trop dur à la desserre : dites cent cinquante dollars ; tenez, les voici.
Harvey s’avança vers la fenêtre, et vit avec consternation que le soleil était déjà descendu sous l’horizon. Il savait qu’il courait les plus grands dangers en restant davantage chez lui, et cependant il ne pouvait supporter l’idée d’être trompé de cette manière sur un marché qui avait été discuté et arrêté. Il hésita.
– Eh bien ! dit le Spéculateur en se levant, vous trouverez peut-être un autre acquéreur d’ici à demain matin ; mais dans le cas contraire, vos titres ne vaudront plus la centième partie d’un dollar.
– Acceptez, Harvey, acceptez ! dit Katy, qui sentait son cœur s’attendrir à la vue de l’argent comptant.
Sa voix mit fin à l’indécision du colporteur, et une nouvelle idée parut se présenter à son esprit.
– C’en est fait, dit-il, j’accepte vos offres ; et se tournant vers Katy, il lui remit une partie de cet argent, lui disant en même temps :
– Si j’avais eu quelque autre moyen de vous payer, j’aurais tout perdu plutôt que de me laisser voler ainsi.
– Vous pourriez bien encore tout perdre, dit le Spéculateur avec un sourire infernal en sortant de la chaumière.
– Il a raison, dit Katy en le suivant des yeux ; il vous connaît, Harvey, et il pense comme moi qu’à présent que votre vieux père n’existe plus, vous avez besoin de quelqu’un de soigneux pour prendre garde à vos affaires.
Le colporteur, occupé à tout préparer pour son départ, n’ayant pas fait attention à cette insinuation, Katy revint à la charge. Elle avait passé tant d’années dans l’attente d’un événement si différent de celui qui allait arriver, que l’idée de se séparer d’Harvey Birch même après toutes les pertes qu’elle venait d’essuyer, lui causait un serrement de cœur dont elle-même était étonnée.
– Où trouverez-vous une autre maison à présent ? lui demanda-t-elle avec une émotion peu ordinaire en elle.
– Le ciel y pourvoira.
– Peut-être. Mais peut-être aussi ne sera-t-elle pas à votre goût.
– Le pauvre ne doit pas être difficile.
– Il s’en faut beaucoup que je le sois, Harvey ; mais j’aime à voir les choses bien rangées et à leur place ; et quant à moi, je ne tiens pas beaucoup à cette vallée ni à ceux qui l’habitent.
– La vallée est agréable, et ceux qui l’habitent sont de braves gens. Mais que m’importe ! toute habitation m’est égale à présent ; je ne verrai plus que des visages étrangers !
Et en parlant ainsi, une bagatelle qu’il allait mettre dans sa balle lui échappa des mains, et il se laissa tomber sur une chaise avec un air d’anéantissement.
– Et non, Harvey, non, dit Katy en approchant sans y penser sa chaise de l’endroit où il était assis ; ne me connaissez-vous pas, moi ? Ma figure ne vous est pas étrangère.
Birch tourna lentement les yeux sur elle, et remarqua dans ses traits une expression pénible, tandis qu’il lui dit avec un ton de douceur :
– Non, bonne femme, non ; vous n’êtes pas une étrangère pour moi. Tandis que tant d’autres m’accableront d’insultes et me calomnieront, peut-être me rendrez-vous justice, et direz-vous quelques mots pour me défendre.
– Je le ferai ! je le ferai ! s’écria Katy avec une énergie toujours croissante. Oui, Harvey, je vous défendrai jusqu’à la dernière
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