L'Eté de 1939 avant l'orage
sâintéressa aux trois enfants devant elle. Ses questions sur le parcours scolaire des fillettes sonnaient faux, leurs réponses gardaient quelque chose de studieux. Quant au fils dâArden Davidowicz, le visage fermé, il jouait avec sa nourriture, sans avaler plus dâune bouchée ou deux. Visiblement, la mort brutale de sa mère lâavait plongé dans une tristesse profonde, et les attentions plutôt froides de celle qui sâimposait comme sa belle-mère ne le ramenait pas à une attitude plus sereine.
Seules les jeunes filles arrivaient à tirer de lui des phrases complètes.
â Tu dois manger plus que cela, sinon tu vas te rendre malade, prononça Ãlise, menacée par la crise de nerfs.
â Câest une shiksa , murmura lâenfant à lâintention de Fran.
Alors que la fillette réprimait un rire nerveux, la femme articula en rougissant de colère:
â Parle français. Câest très mal élevé dâutiliser une langue que personne ne comprend.
Renaud jugea préférable de se retenir de préciser que Frania paraissait avoir tout à fait compris! Le repas sâétira encore sur une vingtaine de minutes, puis Ãlise déclara dâune voix lassée:
â Nous devons rentrer, Solomon fait toujours une sieste à cette heure-ci. Merci beaucoup de lâinvitation, ce fut agréable. Mesdemoiselles.
Dâun signe de tête, elle salua les fillettes, qui répondirent par un «Au revoir, madame», lancé à lâunisson. Quelques instants plus tard, Ãlise Trudel passait la porte en poussant devant elle un garçon plus malheureux que jamais.
â Eh bien, mesdemoiselles, je mâexcuse! Jâai eu une très mauvaise idée de lâinviter à se joindre à nous.
â Elle a lâair sévère, commenta Nadja.
â Câest vrai. Quand je lâai connue, elle nâétait pas comme cela.Pourtant, au moment de le dire, lâhomme se rappela que cela nâétait pas exactement la vérité. Déjà alors, elle nâaffichait pas beaucoup dâhumour, et son ambition froide avait amené Renaud à préférer une union moins conventionnelle.
â Tu es beaucoup mieux avec maman, commenta encore la gamine.
â Jeune fille, bien que vous ayez tout à fait raison, attendez encore quelques années avant de juger le mariage de vos parents. Bon, et maintenant que la méchante sorcière est partie, vous voulez une glace?
Comme cet homme-là savait parler aux demoiselles de douze ans!
Sur le chemin du retour vers le chalet, Renaud demanda à Fran:
â Quand ce garçon, Solomon, a utilisé un mot en hébreu, tu as compris?
â Ce nâétait pas de lâhébreu, mais du yiddish.
â Quâest-ce quâil a dit?
â Ma mère ne veut pas que je répète des termes comme cela. Juste de savoir que je les connais, elle serait fâchée.
Dans ce cas, mieux valait ne pas insister. Aussi se tourna-t-il vers Nadja pour demander:
â Cela tâembêterait beaucoup si je rentrais à Montréal pour un jour ou deux⦠ou trois?
â Tu tâennuies de maman?
â Voyons, elle est partie ce matin. Je serai heureux de la voir, mais je ne mâennuie pas déjà . Je voudrais aller régler des petites choses. Cela te chagrinerait?
â Julietta pourra sâoccuper de moi. Puis je pourrais peut-être dormir chez Fran.
Lâidée de coucher lâune chez lâautre circulait depuis quelques jours.
â Tu sais bien que la mère de Fran doit tâinviter.
Quelques minutes plus tard, le trio arriva à la maison Bielfeld. La petite brune assaillit tout de suite sa mère avec un argument imparable:
â Maman, Nadja peut venir dormir chez nous ce soir?
Elle sera seule, monsieur Daigle doit aller à Montréal.
La jeune femme échangea un regard amusé avec son visiteur et déclara:
â Que dirais-tu dâemmener ton amie jouer juste assez loin pour ne rien entendre de notre conversation?
Alors que les fillettes obtempéraient, Renaud fit remarquer:
â Elle ferait une excellente avocate: tout de suite lâargument choc. Mais soyez à lâaise, Julietta saurait très bien sâoccuper dâelle.
â Je serai heureuse dâinviter Nadja, si cela vous agrée.
â Cela ne vous dérangera pas
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