L'Eté de 1939 avant l'orage
troisième procès.
Heureusement, à lâarchevêché de Montréal on eut le bon sens de lui faire vivre ensuite une carrière des plus discrètes.
Bien sûr, une enquête irréprochable repoussée du revers de la main par un jury trop respectueux de lâhabit ecclésiastique nâavait pas laissé intacte la réputation de Farah-Lajoie.
Une maladresse impardonnable fit le reste. Candidat à un poste dâéchevin dans le quartier Ville-Marie, lâhomme fit campagne en 1927 en proposant une réorganisation de tout le service de police de la ville. Câétait se mettre à dos ses supérieurs. Après sa défaite électorale, ceux-ci le démettaient de ses fonctions. Deux ans dâefforts ne lui permirent pas de réintégrer son emploi. Lors dâun examen médical, on le déclara inapte. à compter de 1929, le détective déchu commença à réclamer une pension de 330 $ par an, pour ses vingt années de carrière, en vain. Avec sept enfants sur les bras, alors que la crise sâamorçait, cet homme dut offrir ses services comme détective privé pour assurer sa subsistance et celle des siens.
Le 4 juillet au matin, Farah-Lajoie rencontrait Renaud Daigle dans un petit restaurant, le Thémis , situé à deux pas du Palais de justice, rue Saint-Jacques. à ce moment, le sort de lâancien policier sâétait amélioré un peu: le représentant du Procureur général à Montréal lâavait recruté à titre dâ«agent spécial». Ainsi, avant de décider de porter des accusations contre un individu, ce fonctionnaire pouvait demander un complément dâenquête.
Lâhomme qui sâétait glissé devant Renaud, de lâautre côté de la table étroite, ne semblait plus que lâombre de lui-même.
Les cheveux et la moustache blanchis par lââge, Farah-Lajoie présentait un visage fatigué, émacié.
â Monsieur Daigle, commença-t-il par dire, votre coup de téléphone dâhier après-midi mâa ramené en mémoire les petites affaires que vous mâavez confiées dans le passé. De bons souvenirs, bien que je me sois parfois senti hors de mon élément naturel.
â Eh bien, je me propose de faire appel de nouveau à vos services. Mais dans le cadre de vos fonctions actuelles, pouvez-vous encore jouer au détective privé?
â La minuscule rémunération que me verse le bureau du Procureur général me fait croire que je ne suis pas payé pour un travail à temps plein. Je suppose que jâai le droit de consacrer mes loisirs à de fidèles clients. Et puis lâété les criminels font relâche, de toute façon.
Cela nâétait pas tout à fait vrai, le climat chaud et humide qui sâappesantissait sur Montréal semblait propice aux crimes passionnels. Mais le vieil homme ne pouvait tout simplement pas se permettre le luxe de laisser passer un gain supplémentaire.
â Vous vous rappelez certainement le meurtre de Ruth Davidowicz?
â Bien sûr. Une arrestation, le suspect relâché, puis plus rien.
â Le médecin possédait un alibi inattaquable, précisa Renaud.
â Jâespère bien, puisquâil a été libéré. Autrement, les bonnes gens de Montréal pourraient croire que son statut de député lui a valu un traitement de faveur. Mais, chose étrange, les journaux nâont jamais précisé la nature de cet alibi.
Les yeux du détective indiquaient que lui-même comptait parmi les bonnes gens un peu sceptiques.
â Une histoire de mÅursâ¦
Succinctement, lâavocat présenta les faits, tels quâil les connaissait, et son rôle dans lâaffaire. Après ce récit, le policier fit observer:
â Mais si vous me parlez de cela aujourdâhui, câest que lâhypothèse du meurtre commis par un nazi vous laisse vous-même un peu perplexe.
â Aussi longtemps que le crime reste impuni, de nombreuses personnes demeureront perplexes, moi y compris.
Dans ce cas-là , les soupçons se portent vers le mari.
â Votre client. Mais vous venez de me dire que son alibi a été confirmé par la police.
Lâavocat leva les yeux vers le ciel comme un instituteur un peu désespéré par le comportement excessif
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