L'Eté de 1939 avant l'orage
mardi, parfois le mercredi.
â Je vous remercie. Je vais le voir.
Arden Davidowicz trahit un moment dâinquiétude quand Farah-Lajoie se présenta à lui comme un agent spécial, puis lâinvita à le suivre dans son bureau.
â Tout de même, précisa le médecin, je vais laisser la porte ouverte, dans lâéventualité dâune visite. La réceptionniste est en congé.
La salle dâattente se trouvait vide, lâex-policier ne prenait la place dâaucun patient. Davidowicz sâassit derrière son bureau, les mains posées sur le buvard, alors que son interlocuteur occupait lâune des chaises réservées aux clients.
â Monsieur Farah, il me semble que vous avez quitté le service de police de Montréal depuis très longtemps. Auriez-vous repris du service?
â En quelque sorte. Comme je vous le disais, je suis agent spécial. Je travaille pour le représentant du Procureur général à Montréal. Celui-ci me confie des mandats à un rythme que jâaimerais plus soutenu.
Avec ce député, mieux valait se donner un rôle officiel et souhaiter que jamais son interlocuteur ne se rende compte quâil répondait aux questions dâun détective privé engagé par son propre avocat.
â Alors, je vous écoute.
â Comme vous vous en doutez peut-être, le service de police dâOutremont ne jouit guère du personnel compétent pour se livrer à une enquête auprès des groupes politiques de droite. La Police provinciale ne peut pas se targuer dâune bien grande expérience non plus. Leur chef, le lieutenant-colonel Piuze, vient tout juste de prendre ses premières initiatives dans la chasse aux communistes, en vertu de la Loi du cadenas . Mais les fascistes ne se trouvent pas dans sa mire.
Surtout, un souci de discrétion, compte tenu de votre statut, a incité le Procureur à me confier le mandat dây regarder dâun peu plus près.
Ce gros mensonge risquait tout de même de passer inaperçu. Comme Maurice Duplessis, chef de lâUnion nationale, occupait à la fois le poste de premier ministre provincial et de Procureur général du Québec, un député libéral au Parlement dâOttawa ne téléphonerait pas au «chef» pour lui demander des comptes.
â La collection de lettres de menace que vous avez reçues se trouve à mon bureau. Quelques-unes sont très explicites, enchaîna lâex-policier.
â Câest le moins que lâon puisse dire.
â Pouvez-vous me dire si certains de leurs auteurs se sont manifestés de vive voix?
â Face à face? Non, ces gens-là sont trop lâches. Mais leurs journaux me semblent limpides quant à leurs intentions.
Le médecin paraissait plutôt soulagé de la tournure que prenait lâinterrogatoire.
â Ces journaux se montrent menaçants pour les Juifs en général, mais je nây ai jamais vu le projet dâassassiner les épouses des députés de cette communauté⦠Vous ne pouvez pas relier ces lettres à des personnes précises? Je veux dire celles qui sont anonymes. Celles qui sont signées expriment peut-être un point de vue détestable, mais sans y aller de véritables menaces de mort.
â Tout de même, quand une missive porte en guise de signature «un Casque dâacier», ou «une chemise noire», cela vous donne une piste, non?
â Pas vraiment. Nâimporte qui peut mettre ces mots au bas dâune feuille. Cela ne signifie pas que tel est bien le cas.
Derrière son bureau, Davidowicz afficha un mouvement dâimpatience. Sa voix monta dâun cran au moment de dire:
â Je dois comprendre que vous nâeffectuerez pas une descente chez ces gens-là ? à quoi servez-vous?
â Monsieur le député, vous devriez savoir que câest le rôle du Parlement de préparer des lois, celui du Procureur dâengager des poursuites. Celui de la police se limite à enquêter pour vérifier si un crime a été commis, ou sâil existe des motifs raisonnables de croire que câest le cas. Quand vous et vos camarades dâOttawa aurez adopté une législation rendant illégal le Parti de lâUnité nationale et toutes ses organisations satellites, nous la ferons respecter. Dâici là , ce nâest pas parce
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