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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Sans lever les yeux, elle commença:
    â€” Comme l’eau: incolore, inodore et sans saveur. Exactement ce que l’on désire d’une bonne petite juive. Vous savez, il faut accepter d’épouser l’homme que la famille a trouvé.
    Mais un mari peut nous répudier à sa guise en fournissant un get , un avis écrit nous rendant notre liberté d’en dénicher un nouveau. Alors, Ruth convenait parfaitement au rôle attendu d’elle.
    â€” Votre frère partageait votre opinion sur son épouse, puisqu’il cherchait consolation ailleurs.
    Encore une fois, Myriam Davidowicz marqua une pause, se demandant comment répondre. En femme solidaire de la conjointe trompée, ou en sœur compréhensive pour les accrocs de son frère au contrat de mariage?
    â€” Au fond, dans ce mariage, il a dû sentir qu’on lui avait forcé la main. Cette union plaisait à tout le monde: les deux pères, le rabbin, les associations juives qui voyaient là un moyen d’aider la carrière d’Arden. Et je suppose que dans le ghetto de Cracovie, tous les deux auraient pu être heureux.
    Mais la vie à Montréal, son statut de député, la clientèle diversifiée et distinguée de son cabinet de médecin lui ont fait le même effet qu’une vitrine remplie de jouets sur un enfant pauvre. Pourquoi se contenter d’une compagne dont l’existence s’écoulait entre les fêtes religieuses, les deux semaines d’impureté chaque mois, le bain rituel ensuite pour redevenir digne de la couche du conjoint?
    â€” Ce dont vous vouliez aussi vous éloigner par votre propre mariage?
    Pour toute réponse, la jeune femme garda les yeux scrupuleusement rivés au sol.
    â€” Comment Ruth Davidowicz vivait-elle cette situation d’épouse délaissée? tenta Farah-Lajoie pour relancer la conversation.
    â€” Mal, je suppose, en s’affichant dans sa famille avec des airs d’agneau sacrificiel.
    â€” Pensez-vous qu’elle désirait divorcer?
    Le sujet intéressait visiblement son interlocutrice, puisqu’elle prit une grande inspiration avant de se lancer:
    â€” Comment voulez-vous que je le sache? Nous nous voyions peu, je faisais trop brebis galeuse pour elle. Mais les bonnes juives ne divorcent pas. En fait, le concept de divorce traduit difficilement ce qui se passe chez nous. Les hommes répudient leur conjointe, c’est-à-dire qu’ils lui permettent de se remettre sur le marché du mariage et d’attendre que la famille trouve le prochain volontaire. Les raisons peuvent être très diverses, d’un repas mal préparé à la rencontre d’une candidate plus jolie. Mais aucune femme ne peut prendre une initiative de ce genre, à moins de pouvoir présenter la preuve d’avoir été victime de mauvais traitements. À demi-morte, peut-être qu’une femme pourrait se séparer de son époux tortionnaire sans être mise au ban de la société. Mais Ruth ne possédait, pour tout motif de plainte, que les absences d’Arden.
    â€” Chez les catholiques aussi, les femmes ont peu de liberté dans ce domaine. Vous n’avez pas beaucoup gagné au change.
    â€” Les catholiques jouissent de moins de droits que les hommes, mais plus que les juives, croyez-moi. Aucun chrétien ne peut répudier sa conjointe. Cela fait une différence considérable.
    â€” Je veux bien vous croire.
    Syrien ayant grandi à Jérusalem, Farah-Lajoie admettait d’autant plus facilement son point de vue qu’elle ne lui avait rien appris qu’il ne savait déjà.
    â€” Mais tous les Israélites ne subissent pas ces règles dans toute leur rigueur. La plupart les adaptent au lieu et au temps où ils vivent.
    â€” Bien sûr, certains ne sont juifs que quelques heures le samedi, d’autres pas du tout. Mais d’autres portent des redingotes qui étaient à la mode dans la Pologne du dix-huitième siècle. Comme il y a des catholiques plus rigides que d’autres.
    Ruth venait d’un milieu plutôt orthodoxe. Peut-être à cause de l’âge et de la peur de la mort, le père d’Arden a découvert le charme de la rigidité un peu tard dans la vie.
    â€” Votre père.
    â€” Je n’ai plus de père.
    Elle avait dit cela d’une voix blanche, les yeux toujours fixés au

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