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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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sens vous a bien guidé.
    â€” À moins que ce soit mon intuition masculine. Sachez cependant que ce sera sans doute assez cher. Combien de Laliberté figurent dans le bottin téléphonique, selon vous?
    â€” Pas la moindre idée, mais si vous me posez la question, je devine qu’ils sont nombreux.
    â€” Très précisément soixante-quatre, juste à Montréal. Le pire, c’est que ce type n’a peut-être pas le téléphone.
    â€” Alors bonne chasse.
    Après avoir raccroché le combiné, Renaud marcha avec précaution jusqu’à son fauteuil. Ou il arriverait à la fin de l’été aussi bon cavalier que John Wayne, ou alors il finirait ses jours en prison pour avoir assassiné un canasson. La vedette des westerns Red River Range , Stagecoach , The Night Riders et The Three Texas Steers avait drainé une belle proportion des adolescents de la municipalité vers le Théâtre Outremont depuis le début de cette année 1939.

    Finalement, les choses n’avaient pas été si difficiles.
    Connaissant la date du mariage de Myriam Davidowicz, le vieux détective avait cherché dans les journaux de l’année précédente un entrefilet faisant référence à l’événement dans les «Notes sociales», une adaptation prolétarienne du «Carnet mondain». Aussi apprit-il que l’époux se prénommait Armand et qu’il travaillait comme «acheteur» chez Dupuis Frères.
    Ainsi, les chemises de nuit vendues trente-neuf cents par la grande maison de commerce canadienne-française étaient produites dans un minuscule atelier de la rue Hôtel-de-Ville où tout le personnel était juif. Quelle ironie pour un grand magasin qui cherchait le patronage des francophones et des catholiques dans les pages de L’Action nationale et qui réservait un salon à l’usage exclusif des ecclésiastiques dans son établissement!
    Bien sûr, la fonction de l’époux permettait d’imaginer comment la relation avait pu naître entre les jeunes gens: au moment de se rendre à l’atelier pour passer une commande, Armand Laliberté avait pu fraterniser avec une couturière prénommée Myriam. Peut-être même celle-ci se voyait-elle confier les négociations avec certains clients, si elle était jeune et jolie. Le charme de l’un et de l’autre avait fait le reste…
    L’employé de Dupuis Frères et sa nouvelle conjointe occupaient un logement au second étage d’un immeuble qui en comptait trois, rue Saint-Hubert, un peu au nord de la rue Sainte-Catherine. Quand Farah-Lajoie frappa à la porte dans la matinée du 18 juillet, une femme tout juste dans la vingtaine vint lui ouvrir. De taille moyenne, les cheveux noirs, les lèvres pleines, les yeux d’un gris très foncé, à sa vue l’enquêteur comprit tout de suite pourquoi un Canadien français avait pu s’enticher d’elle.
    â€” Madame, je m’appelle Georges Farah-Lajoie, détective. J’enquête sur le meurtre de Ruth Davidowicz.
    â€” … Je ne sais rien à ce sujet.
    â€” Puis-je tout de même entrer pour vous poser quelques questions? On ne sait jamais, un infime détail pourrait faire progresser l’enquête.
    Ce fut tout à fait à son corps défendant que la jeune femme s’effaça pour ouvrir la porte toute grande. Pour la première fois, l’enquêteur remarqua son ventre proéminent.
    Un petit Laliberté se trouvait en route depuis quelques mois.
    Dans l’appartement, Myriam Davidowicz lui indiqua un salon modestement meublé. La maison Dupuis Frères n’avait pas la réputation de bien payer ses employés, des membres de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, mais elle leur consentait une réduction sur les achats effectués chez elle. Rien ne devait venir d’un autre commerce, dans ce domicile. L’ancien policier prit place sur le fauteuil désigné par son hôtesse, celle-ci s’installa juste en face de lui sur un petit canapé fleuri.
    â€” Pouvez-vous me dire comment était votre belle-sœur?
    â€” … J’ignore ce que vous voulez apprendre.
    â€” Simplement quel genre de personne elle était.
    L’autre se mordit la lèvre inférieure, le regard perdu dans les motifs ornant la moquette.

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