L'Eté de 1939 avant l'orage
Côté? commença Renaud. Enfin, il sâest présenté à moi sous cette identité. Je dois dire que votre coup de fil mâa laissé assez inquiet.
â Une identité qui en vaut bien une autre. Sous ce nom, il a été serveur dans une taverne et membre du Parti de lâUnité nationale. Non, je nâai pas eu de nouvelles de lui.
Tous les mercredis, il trouvait moyen de me faire rapport. Il mâa dâabord fait faux bond le 5 juillet, puis à nouveau le 12.
Lors de votre dernière rencontre, notre homme ne vous a pas laissé entendre quâil voulait changer de carrière?
Lâavocat prit une gorgée de la boisson ambrée, la fit tourner dans sa bouche tout en essayant de se remémorer dans ses moindres détails sa conversation avec le désagréable informateur.
â Pas de façon très explicite. Cependant, Côté considérait quâun incident dont je suis malheureusement la cause avait brûlé sa couverture auprès des nazis. Il a même précisé quâil ne serait pas fâché de venir vous demander une autre affectation.
â Vous pouvez mâen dire plus sur cet incident?
Un peu mal à lâaise, Renaud Daigle fit le récit de la soirée passée à entendre les discours dâAdrien Arcand et de ses sbires, puis le petit esclandre lâopposant à André Blanchet.
â Comme ce sale petit interne mâa désigné devant toutes les chemises noires présentes comme étant un espion à la solde des Juifs, conclut lâavocat, Côté considérait que plus personne ne lui ferait confiance au sein du parti. Voyez-vous, en quelque sorte il avait agi comme mon parrain auprès de lâassociation.
â Je vois. Vous avez joué de malchance. Impossible pour vous de prévoir que lâinterne antisémite de Montréal arrondissait ses fins de mois en travaillant dans un hôtel des Laurentides.
Ce fut au tour de Bronfman de se perdre dans ses pensées.
à la fin, le financier déclara:
â Admettons que ses camarades lâaient mal reçu quand il sâest à nouveau trouvé en leur présence. Cela ne pouvait que lâinciter à se précipiter à son rendez-vous avec moi afin que je lui donne un nouveau travail. Un homme avec des compétences comme les siennes peut se rendre utile de diverses manières.
â Vous⦠Vous ne pensez pas que les nazis ont pu le faire disparaître parce quâil a trahi leur confiance? Une fois que jâétais identifié, Côté a dû apparaître comme mon complice.
Bronfman ferma les yeux un moment, puis admit:
â Bien sûr, nous ne pouvons écarter cette hypothèse.
Mais depuis trois ans mon informateur mâa présenté le Parti de lâUnité nationale comme un ramassis dâopportunistes ou de pauvres gens à la recherche dâexplications faciles à leurs malheurs et de solutions pour les en sortir trop simplistes pour être réalistes. à ses yeux, même les déclarations racistes nâétaient pas à prendre comme une bien grande menace, lâimmense majorité des Canadiens français ne ressentant aucune haine particulière à notre égard.
â Au sujet de votre dernière affirmation, jâaurais tendance à partager son avis. Mais il ne faut que quelques extrémistes pour commettre des horreurs. Déjà , Ruth Davidowiczâ¦
â Monsieur Daigle, je sais cela. Nous y reviendrons dans un moment. Pour poursuivre avec notre premier sujet, Alfred Côté mâa toujours semblé être un homme capable de se défendre. Jâai du mal à croire que ces bouffons aient pu le faire disparaître, comme vous dites.
Ãvidemment, le financier connaissait lâhomme, il pouvait juger de ses ressources face à lâadversité. Renaud demanda bientôt:
â Quâentendez-vous faire maintenant?
â Mon possible pour retrouver mon employé. Je ne suis pas le seul à pouvoir recourir à des enquêteurs privés, quand câest nécessaire.
Samuel Bronfman avait dit ces derniers mots en adressant un sourire entendu à son interlocuteur. Ce dernier avait demandé et obtenu une avance de fonds significative afin de se rembourser des frais relatifs à lâenquête de Farah-Lajoie.
â Pouvez-vous me dire quels progrès vous avez
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