L'Eté de 1939 avant l'orage
Non, ce classement-là nâavait rien donné. Jâai simplement pris les lettres dactylographiées pour les regrouper en fonction de la marque de la dactylo.
â Pardon?
â Même quand la police est la même, les machines à écrire de marques diverses utilisent des jeux de caractères distincts. Bien sûr il faut une bonne loupe, mais les particu-larités de chacune sont visibles. Et alors que je regardais cinq ou six missives tapées avec un appareil de fabrication identique, une Smith Corona ou une Underwood, par exemple, je me suis rendu compte que trois dâentre elles venaient de la même machine.
Pendant que son vis-à -vis écarquillait les yeux, Farah-Lajoie plaça sur la table trois feuilles de papier, une vert pâle, une blanc crème et la troisième blanc ivoire. Renaud vit que sur chacune dâentre elles les lettres «t», comme dans «tuer» ou dans «truie», se trouvaient soulignées dâun trait fin de crayon, effectué avec une règle. Cela permettait de remarquer tout de suite que celles-ci se situaient une fraction de milli-mètre trop haut sur la ligne.
â Voyez tous les «t». Lâauteur de ces missives a voulu donner lâimpression quâelles venaient de trois personnes différentes, en changeant la couleur du papier, mais aussi les signatures: Casque dâacier, Une chemise noire, Les chemises noires.
â Lâauteur aime varier les papiers. Moi-mêmeâ¦
â La lettre «t» représente une signature, exactement comme les stries sur une balle autorisent à la relier à un revolver parmi tous les autres.
Un médecin légiste montréalais, Wildrid Derome, sâétait mérité une petite réputation internationale en prônant des méthodes dâenquête «scientifiques». Farah-Lajoie avait collaboré avec lui lors de ses affaires les plus retentissantes.
â Cela peut être dû à un problème sur une ligne de montage chez Smith Corona, ou chez Underwood.
â Vous feriez un bon avocat de la défense, le taquina lâancien policier. Vous connaissant déjà , je me suis donc attaché à chercher une deuxième signature. Regardez la seconde boucle, dans les «m». Je vous passe ma loupe.
Le vieil enquêteur se promenait vraiment avec une loupe dans la poche intérieure de son veston. Renaud se plut à imaginer quâil se trouvait devant une incarnation de Sherlock Holmes, alors que plus prosaïquement Farah-Lajoie lâavait prise avec lui en sachant que ce moment de la conversation viendrait.
Le verre grossissant lui permit de constater une très fine dentelure dans les «m» des trois lettres.
â Je ne suis pas statisticien, mais je veux bien parier que des caractéristiques de ce genre sur deux machines, cela devient moins probable encore que la foudre frappant deux fois au même endroit.
â Ce qui signifierait quâun plaisantin désireux dâeffrayer Davidowicz a voulu multiplier par trois ses menaces: papier différent, signature distincte. Peut-être a-t-il aussi envoyé des lettres manuscritesâ¦
â Mais je suis à peu près certain quâil lâa fait!
Lâex-policier sortit deux plis supplémentaires de sa grande enveloppe pour les mettre sur la table à côté des autres.
â Les papiers sont encore dissemblables, mais si vous les lisez, vous verrez des ressemblances de style, même si lâauteur a pris la précaution de décupler les erreurs de français à dessein: le même mot orthographié correctement parfois, avec des fautes les autres fois. La graphie est si maladroite, carrée ou cursive, quâelle semble truquée. Pour arriver à ce résultat, personnellement jâutiliserais ma main gauche.
Renaud consacra quelques minutes à parcourir les cinq missives posées devant lui. Quand il releva la tête, ce fut pour dire:
â Toutes expriment des menaces de mort très explicitesâ¦
â Et?⦠le titilla lâenquêteur.
â Elles étendent ces menaces à sa famille.
â Plus précisément à sa conjointe. Lâenfant nâest évoqué que dans lâune dâentre elles. Ces missives viennent dâune seule personne, mais lâauteur a souhaité donner lâimpression que plusieurs individus en voulaient non seulement Ã
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