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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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moment de demander d’une voix rocailleuse, dans un mauvais français:
    â€” J’aimerais parler à M gr Bazinet.
    â€” … Je vais aller voir s’il peut vous recevoir.
    Un moment plus tard, sur la véranda, sœur Saint-Crépinien prononça timidement:
    â€” Monseigneur… Monseigneur…
    â€” … Oui, ma sœur?
    L’homme sortit lentement de sa torpeur, chercha un moment sur sa tête afin de vérifier si sa curieuse petite coiffe noire s’était déplacée pendant sa sieste, récupéra sur le plancher le bréviaire qui lui avait glissé des mains.
    â€” Un visiteur pour vous. Un Juif, je pense.
    â€” Un Juif, ici?
    Sur la seconde chaise transatlantique, l’abbé Charland n’ouvrit qu’un œil et constatant que son patron ne semblait pas vouloir lui confier la tâche d’accueillir l’intrus, le referma.
    â€” C’est bon, demandez-lui de patienter dans mon bureau.
    Soucieux de se montrer sous son meilleur jour, le représentant de l’Église de Rome passa par le cabinet de toilette, plaça ses mèches de cheveux avant de bien aligner sa calotte, s’assura qu’aucun vestige de son dernier repas ne subsiste à la commissure de ses lèvres. Rassuré sur la dignité et la prestance de sa mise, le prélat domestique troussa sa longue robe noire pour pisser longuement. Le jet avait des hoquets.
    Quelle pitié, être le représentant du seul vrai Dieu sur terre et souffrir d’une prostate récalcitrante.
    Son visiteur patientait sur une grande chaise de chêne dotée d’accoudoirs, placée devant un bureau si volumineux qu’il aurait pu rendre jaloux un ministre… ou un archevêque.
    Pour passer le temps, l’homme jetait un regard distrait sur les titres des livres de piété contenus dans une petite bibliothèque à sa gauche. Quand le prêtre arriva, l’homme se leva et prononça de sa voix la plus onctueuse:
    â€” Monsieur le curé, je vous remercie de bien vouloir me recevoir comme cela, à l’improviste. Je m’appelle Harry Stern. Je suis rabbin à Montréal.
    Sur ces mots, le visiteur tendit la main, que M gr Bazinet serra sans conviction. Il passa derrière son pupitre en disant:
    â€” Mais asseyez-vous, je vous en prie. Vous êtes de Montréal. Je suppose que vous comptez parmi les estivants attirés par notre belle région.
    â€” En effet. La température est étouffante en ville, je suis heureux de pouvoir m’évader ici.
    â€” Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite? Je présume que vous n’entendez pas discuter avec moi du mérite de nos religions respectives.
    â€” Non… répondit le rabbin un peu désarçonné par l’entrée en matière. Votre sermon de dimanche dernier a créé une certaine commotion parmi les membres de ma communauté.
    M gr Bazinet affecta la surprise, puis sur un ton conciliant tenta:
    â€” Pourtant, vous auriez dû vous attendre à ce que votre invasion de notre territoire suscite tôt ou tard une réaction.
    â€” … Notre invasion? Je ne comprends pas…
    â€” Voyons, vous savez certainement que la ville compte moins de quatre mille habitants chrétiens, et un bon deux mille israélites. Pensez-vous que nous allons gentiment attendre que vous représentiez les deux tiers de la population?
    Présentement, dès qu’une propriété est mise en vente, il se présente dix acheteurs juifs pour un seul chrétien.
    Le visiteur resta un moment interdit, puis opposa:
    â€” Mais nous sommes libres d’acheter et de vendre.
    D’ailleurs, si les acheteurs sont si nombreux, cela profite aux vendeurs. Depuis des années que les prix sont déprimés…
    â€” Vous savez bien que c’est faux. Au contraire, les chrétiens ne veulent plus acheter ici, tellement l’invasion de vos coreligionnaires leur répugne. En vérité, c’est à vil prix que vous achetez notre patrimoine, car vous vous concertez pour ne pas renchérir entre vous.
    Le rabbin avait le choix entre s’engager dans une vaine discussion sur l’état du marché immobilier à Sainte-Agathe, ou alors en venir au véritable motif de sa visite. La dernière éventualité prévalut:
    â€” Je suis venu vous demander de ne plus utiliser les mots blessants de

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