L'Eté de 1939 avant l'orage
dimanche dernier à notre égard. Cela peut conduire à des excès regrettables.
â Quand je parle à lâéglise, câest pour communiquer à mes fidèles la parole de Dieu.
â En accusant les Juifs dâêtre sans morale, immodestesâ¦
â Aussi, ce nâest certainement pas à vous de censurer mes paroles.
Le ton de M gr Bazinet ne tolérait pas de réplique. Le rabbin Stern demeura un moment silencieux, reprit dâune voix quâil souhaita la plus conciliante possible:
â Si je comprends bien, nous nous exposons à de nouvelles attaques, même si cela risque de conduire à des persécutions?
â Les Canadiens français montrent enfin le désir de cesser dâêtre des victimes dépossédées de leur propre pays. Je continuerai de me faire lâinterprète de mon Dieu, de mon Ãglise et de mon peuple. Ce que je dis dans mon temple ne vous regarde en rien, mais si vous êtes curieux, vous pouvez toujours venir mâécouter dimanche prochain.
Un nouveau silence fit suite à ces paroles, puis le visiteur se leva de son siège en disant:
â Je vous remercie encore dâavoir accepté de me rencontrer. Je vous souhaite une bonne journée.
M gr Bazinet se leva lui aussi, fit mine dâaccompagner le rabbin jusquâà la porte.
â Ce ne sera pas nécessaire. Je connais le chemin.
Resté dans son bureau, le curé commença par se passer quelques réflexions peu chrétiennes sur lâarrogance de cet homme, qui entendait le museler. Un moment, il pensa retourner sur la véranda afin de profiter de la fraîcheur de la brise qui entrait par les grandes croisées ouvertes. Cependant, lâecclésiastique décida de profiter de la mauvaise humeur où son visiteur lâavait mis pour préparer son prochain sermon.
Les mots lui viendraient plus facilement.
Dans les minutes qui suivirent, le rabbin Stern fit le pied de grue sur le trottoir longeant la rue Principale: comme la rencontre avec le prêtre avait été plus courte que prévu, la voiture ne se trouvait pas au rendez-vous. Puis le véhicule conduit par Arden Davidowicz tourna enfin le coin de la rue Sainte-Agathe. à peine avait-il posé les fesses sur la banquette que celui-ci interrogea:
â Continuera-t-il sa campagne haineuse?
â Je me suis fait répondre que son Dieu et son pays étaient ses seuls guides. Ce qui mâinquiète, ce sont les réactions de quelques catholiques qui prendront ses paroles comme une approbation de la violence.
â Je vous avais dit que cela ne servirait à rien. Adrien Arcand est venu faire un discours à Saint-Faustin il y a trois semaines. Maintenant, cet évêque reprend ses arguments.
Depuis quelques jours, les membres de la communauté juive de Sainte-Agathe vivaient des moments dâangoisse et apprenaient à verrouiller les portes, à sâabstenir de traîner dans les rues le soir, et même à regarder parfois par-dessus lâépaule pour voir si quelquâun ne les suivait pas.
â Vous croyez que la campagne de ce prêtre est reliée au Parti de lâUnité nationale? prononça le rabbin, inquiet.
â à tout le moins, les événements sâenchaînent très bien.
â Jâai toujours dit à notre communauté de ne pas sâinquiéter de ces quelques excités. Les Canadiens français ne nous ont jamais fait dâennuis. Pendant des années la Société Saint-Jean-Baptiste nous a fait dâexcellentes conditions pour utiliser le Monument national. La littérature et le théâtre yiddish se sont développés ici de façon remarquable.
â Mais les choses ont changé. Pour le pire. Je vous ai déjà montré les lettres que je recevaisâ¦
Le rabbin Stern ferma les yeux. Le souvenir du triste sort de Ruth Davidowicz lui revint en mémoire. Oui, même à Montréal, les pires horreurs pouvaient se produire.
â Vous croyez que le projet dâécrire une pétition à Mackenzie King aurait un résultat positif? Ou peut-être devrions-nous lâenvoyer à Ernest Lapointe? se corrigea le vieil homme.
Davidowicz venait dâimmobiliser sa voiture en face dâune coquette petite maison. Sur les trottoirs, dans les cours, les personnes visibles étaient de religion juive et comptaient
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