L'Eté de 1939 avant l'orage
du temps où les femmes se cachaient de la cheville aux cheveux et, incapables de bouger, faisaient potiches dans les salons. En attendant un retour aux jours bénis du bon vieux temps, ils traitaient, à mots à peine couverts, de garces celles qui exposaient un peu leur épiderme.
Ce ne fut quâau moment où ils atteignirent la maison que Nadja en arriva à son principal sujet de préoccupation:
â Fran est juive.
â Oui, convint son père dâune voix douce.
â Pour cette raison, tous ces gens la détestent.
â Viens tâasseoir derrière, maman va nous préparer quelque chose à boire.
Virginie le regarda un peu de travers, mais accepta de se voir reléguée au travail domestique. Elle risquait de rater lâexposé de sagesse politique de son escogriffe de mari qui, à son âge, plutôt que de se soucier de sa prostate, risquait sa vie à jouer à lâespion et au détective.
â Clairement, ce curé la déteste, commença Renaud quand ils eurent rejoint les chaises Adirondack. Toutefois, je ne crois pas quâil faille conclure cela de toutes les personnes présentes à la messe. La plupart ne la connaissent pas, ils ne connaissent aucun Israélite, tout simplement. Tu te rappelles notre conversation dans le parc, à Outremont?
La fillette resta muette un moment, puis confessa enfin:
â Jâétais comme euxâ¦
â Maintenant, tu sais que tu peux apprécier certains Juifs, comme Fran et ses parents, et des milliers dâautres sans doute.
Et détester ce curé, et aussi des Juifs ou des protestants tout aussi⦠détestables.
Lâavocat songea que dorénavant il pourrait plus facilement manquer la messe dominicale sans provoquer une commotion chez sa fille. Pendant des années, elle sâétait sérieusement inquiétée du salut de lââme de son paternel et, sur les conseils des saintes religieuses qui lui faisaient la classe, avait prié pour le voir réintégrer sincèrement la communauté des fidèles.
â Mais son rôle est dâinculquer ce qui est bien. Un prêtreâ¦
â Ce nâest quâune personne. Son habit ne le rend pas plus sage. Tu écoutes, tu réfléchis, tu discutes, tu consultes même à propos de ce que les gens tâenseignent, et tu te crées une opinion à toi, tout simplement. Tu donnes ta confiance seulement à ceux que tu en juges dignes.
Virginie revint avec des verres de thé glacé tout juste pour entendre son mari changer de ton et conclure:
â Mais pourquoi laisser cet imbécile gâcher notre dimanche? Le mieux que nous puissions faire, câest chasser ces sottises de notre esprit. Comme nous avons quitté la messe un peu plus tôt aujourdâhui, nous pourrons chercher un restaurant plus loin.
La perspective dâune longue balade en auto, sous les arbres et très souvent sur des routes longeant des lacs, ramena un sourire sur son visage.
â Dans un autre ordre dâidées, reprit Renaud après une pause, nous devons signifier à notre propriétaire si nous souhaitons garder la maison deux mois de plus. Notre entente se terminera dans un peu plus de deux semaines.
â ⦠Sommes-nous obligés de répondre tout de suite? questionna sa femme.
â Pas vraiment. Le propriétaire doit nous donner la priorité. Sâil reçoit une autre offre, il nous demandera si nous entendons rester.
â Nadja, que dirais-tu si nous attendions de voir la suite des événements, avant de décider? Jusquâà dimanche prochain, ou même le suivant?
La gamine acquiesça aux paroles de sa mère dâun signe de tête.
Le lendemain, Georges Farah-Lajoie téléphonait à Sainte-Agathe pour solliciter un rendez-vous avec Renaud. Celui-ci, pour sâéviter une séance dâéquitation, se montra tout à fait disponible. Aussi sâentendirent-ils pour se rencontrer dès mardi, vingt-quatre heures plus tard, pour un repas au restaurant de Belson, rue Saint-Vincent.
Quand ils se retrouvèrent assis de part et dâautre dâune banquette, lâenquêteur demanda, goguenard:
â Vous recevez les journaux de la grande ville, dans votre petit village?
â Bien sûr, sauf que je trouve ceux du matin au milieu de la matinée et ceux de la veille au soir, comme La Patrie ,
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