L'Eté de 1939 avant l'orage
vraisemblablement parmi les plus traditionalistes. Cette tendance à reproduire les ghettos sous toutes les latitudes irritait profondément le médecin.
â Aucun politicien canadien-français ne dira jamais un mot pour réfréner les ardeurs racistes dâun prêtre catholique.
Le prix à payer serait dâêtre balayé à la prochaine élection.
Puis King ne prendra aucune initiative pouvant réduire ses appuis au Québec. Il a absolument besoin de la province pour se maintenir au pouvoir.
â Dans ce cas, nous ne pouvons rien faire.
â Nous pouvons faire face, affronter ces gens, occuper la rue. Cela ne donne rien de courber lâéchine pour recevoir les coups, dâessayer de faire entendre raison à ces gens, comme vous venez de le faire avec Bazinet. Luttons plutôt.
Le rabbin jeta un regard un peu effrayé à son compagnon, le remercia de lâavoir reconduit jusque devant sa porte avant de descendre.
Après être passé à son chalet pour saluer Ãlise et serrer son garçon dans ses bras, Arden Davidowicz reprit le volant pour rentrer à Montréal. Tout le long du trajet, le politicien ressassa ses arguments. Avant de partir, un arrêt dans un hôtel lui avait permis de téléphoner â curieusement, même si sa compagne passait lâété à Sainte-Agathe, il nâavait pas jugé utile dâéquiper sa résidence secondaire dâun appareil â afin de fixer un rendez-vous.
La précaution nâavait pas été vaine: en face de chez lui, un homme attendait son arrivée derrière le volant dâune petite Ford. En descendant de voiture, le médecin commença par le rejoindre en lui tendant la main:
â Désolé de vous avoir fait attendre, monsieur Johnson.
Les chemins ne sont pas toujours les meilleurs dans notre belle province.
â Ce nâest rien. De toute façon, je ne suis pas là depuis longtemps.
Un moment plus tard, les deux hommes entraient dans la maison sous lâÅil attentif de la voisine. Depuis la dernière visite de Farah-Lajoie, celle-ci se pensait investie dâune mission et, pourquoi pas, dâun statut: celui dâauxiliaire de la police.
Dans la maison, Davidowicz conduisit son visiteur jusque dans la cuisine, lui offrit une bière fraîche, en prit une pour lui, et le pria de le suivre dans la cour arrière. Installés dans de grandes chaises de bois, les deux hommes vidèrent la moitié de leur verre avant dâen venir aux choses sérieuses:
â Vous avez certainement entendu parler des événements survenus à Sainte-Agathe.
â Comme tout le monde. Les journaux français en ont parlé un peu, puis notre rédaction a reçu de nombreuses lettres.
â La Gazette enverra-t-elle un reporter?
â Il ne semble plus rien se passer. Sâil fallait envoyer quelquâun dans toutes les paroisses où un curé devient un peu délirant, nous ne ferions plus que cela.
Davidowicz ne dissimula pas son agacement, puis reprit un argument déjà utilisé devant le rabbin Stern:
â Ces événements font suite à une visite dâAdrien Arcand à Saint-Faustin. Une foule est venue lâentendre.
â Notre petit Führer transporte toujours ses chemises noires depuis Montréal quand il visite la campagne, pour ne pas parler devant une salle vide.
â Deux mille chemises noires?
Le journaliste prit une gorgée de sa bière sans dire un mot. Bien sûr, une pareille assistance dans un si petit village témoignait dâun regain de popularité étonnant. Pourtant, les ardeurs des sympathisants de Hitler avaient beaucoup faibli depuis un an ou deux: lâarchevêque de Montréal et des prêtres renommés avaient condamné le nazisme dans des termes limpides. Le gouvernement allemand maltraitait les écoles catholiques, ce qui avait toujours un effet négatif au Québec.
De toute façon, les régimes fascistes dâItalie, dâEspagne et du Portugal demeuraient les plus populaires dans la province, car ces gouvernements paraissaient très bien sâentendre avec lâÃglise dans ces pays. Le modèle germanique exerçait une moins grande séduction. De plus, la guerre imminente amenait à sâéloigner de lâennemi probable.
â Vous croyez vraiment que des événements peuvent
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