L'Eté de 1939 avant l'orage
garçon?
Au timbre de sa voix, impossible de penser quâelle proposerait sa candidature pour en assumer la responsabilité.
â Le mieux serait que mon père le prenne avec lui. Sinon il ne connaîtra ni sa langue, ni sa religion.
â Si tu permets, je souhaite marcher un peu autour du lac.
Farouchement, la femme combattait ses larmes. Pourtant, à sa grande surprise, elle sentit que sa peine serait vite soulagée. Pendant des années, les moments volés avec cet homme lui avaient fait vivre la passion et éprouver de la félicité. Depuis mai, leur nouvelle liberté sâaccompagnait de la plus totale morosité. Leur amour se diluait dans tout le temps maintenant à leur disposition.
Au moment où Ãlise Trudel refermait la porte derrière elle, Arden Davidowicz retourna sâétendre près de son fils.
Ce qui, ce matin encore, ne représentait quâun vague projet, né à la lecture des informations internationales dans les journaux, avait soudainement pris une tournure terrifiante.
Un seul mot, au retour de sa compagne, permettrait de revenir en arrière. Il ne le prononcerait pas.
Quelques heures après que les poteaux de téléphone et dâélectricité eurent été pollués par les affiches racistes dâAndré Blanchet et ses complices, le service de police de Sainte-Agathe se chargea de les arracher. Pourtant, les esprits ne sâétaient pas calmés.
Le lendemain matin, au moment où la petite famille se préparait à partir pour lâéglise, Nadja demanda, maussade:
â Serait-ce bien grave si je manquais la messe aujourdâhui?
Je ne désire pas entendre encore cet évêque.
â Tu as le droit dây aller ou pas. Si tu préfères rester ici, sans doute que maman voudra te tenir compagnie. Personnellement, jâaimerais tout de même y aller, pour satisfaire ma curiosité politique.
â ⦠Dans ce cas, jâaccepte dây aller aussi. Cependant, nous trouverons des places à lâarrière⦠si nous souhaitons sortir avant la fin.
â Nous nous mettons toujours derrière, tu le sais bien.
à dix heures, la fillette constata avec plaisir que M gr Bazinet avait confié à son vicaire, prénommé aussi Jean-Baptiste, mais portant le nom de Charland, la responsabilité de dire la messe. Malheureusement pour elle, le sermon, très attendu à en juger par les mouvements nerveux des ouailles quand le jeune ecclésiastique grimpa les marches de la chaire, serait de la même eau. Lâhomme commença par expliquer que le curé se trouvait malheureusement incommodé par la maladie. Il enchaîna sur ces mots:
â Depuis une semaine, les sages paroles de notre pasteur ont attiré de multiples appuis, venus de toute la province.
Un murmure parcourut lâassistance. Renaud devinait que de nombreux Juifs avaient rangé leur kippa dans une poche de leur veston afin dâassister à cet exposé.
â Au moment où la menace de la guerre pèse sur nos têtes plus que jamais, je veux vous rappeler quâaucun sentiment de haine nâa inspiré le déclenchement de notre lutte contre la présence des Juifs à Sainte-Agathe. M gr Bazinet, constatant avec inquiétude lâaugmentation du nombre des Israélites dans la paroisse, a fait un vibrant appel à ses paroissiens, les avertissant du danger de voir passer aux mains de ceux-ci un patrimoine dâune beauté et dâune valeur incomparables. Câest un devoir dâordre national, religieux, moral et économique qui nous oblige à garder ce qui nous reste de ce joyau des Laurentides et à reprendre, si possible, ce que nous avons laissé filer aux mains des Juifs. Ceux-ci sont par leur nature, par tempérament, par éducation et même par un commandement spécial de leur religion, les pires ennemis des chrétiens. Dans une union loyale, sincère et persévérante, passons à lâaction pour la gloire de Dieu et de lâÃglise, et pour faire plus grande notre patrie canadienne.
Renaud reconnaissait bien une fois de plus lâinspiration de ce curé: La Réponse de la race . Ces soutanes semblaient sâalimenter au même credo idéologique. Par la suite, le vicaire entretint les paroissiens des sujets anodins habituels. Les adolescents juifs nuisaient à la circulation dans
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