L'Eté de 1939 avant l'orage
offensante:
â Monsieur Blanchet, cette fois je vous retrouve sur mon terrain. Je pourrais en toute légalité vous abattre comme la bête nuisible que vous êtes, pour défendre ma propriété. Je vais donc récupérer mon revolver et vous le vider dans le corps, le vôtre et celui de vos camarades, si vous ne déguerpissez pas dans les trente prochaines secondes.
Lâautre chercha, comme lors de leurs deux précédentes altercations, ses compagnons des yeux afin de trouver le réconfort du nombre.
â Vos menaces ne me font pas peur, lâami des Youpins.
Vous les recevez chez vous, maintenant, ajouta-t-il en regardant en direction de Bielfeld.
â Je pense que quinze bonnes secondes sont écoulées.
Son interlocuteur jeta encore un regard un peu inquiet vers ses complices, puis finalement il tourna les talons, prononçant dâun ton faussement joyeux:
â Ce trou du cul nous fait perdre notre temps. Continuons notre travail.
La petite troupe regagna la voie publique, se déplaça jusquâau poteau de téléphone suivant⦠mais ne posa aucune nouvelle affiche sur celui qui se dressait sur le terrain de Renaud Daigle. Celui-ci rejoignit sa famille sur le perron.
Virginie lui dit à lâoreille:
â Tu lui as précisé que ton revolver se trouve enfermé à clé dans un tiroir, et les balles dans un autre tiroir, verrouillé lui aussi?
â Non, et aussi longtemps quâil lâignore, nous aurons la paix.
Près dâeux, Bielfeld regardait Fran avec des yeux préoccupés.
â Tu viens rejoindre ta mère? Elle va sâinquiéter.
Comme tous les samedis, Arden Davidowicz était resté à la disposition de ses patients, qui ne venaient plus, jusque vers midi. Puis après le repas, il se dirigea vers Sainte-Agathe à bord de son automobile. Au moment de sâengager dans une rue au second rang par rapport au lac, une petite affiche sur un poteau de téléphone attira son attention. Une minute suffit pour la décrocher et, après un coup dâÅil, la mettre rageusement dans sa poche.
Stationné près de son chalet, les pieds à peine posés sur lâallée de gravier, la porte claquait et son garçon se précipitait dans ses bras.
â Papa, je souhaite rentrer à la maison, à Montréal, geignit-il en yiddish.
En réalité, Solomon voulait dire retrouver son père et ne plus voir cette femme.
â Tu sais bien que lâair pur te fait le plus grand bien. Ã
Montréal, il fait très chaud. Puis comme je dois travailler, personne ne pourrait sâoccuper de toi.
Lâenfant afficha son visage le plus buté. Sur le perron se dressait Ãlise, visiblement préoccupée. Au moment de la rejoindre, le médecin demanda dâun ton quâil souhaitait le plus gai possible:
â Ce jeune homme a-t-il fait sa sieste?
â Non, pas encore. Nous tâattendions.
â Dans ce cas, je vais aller mâétendre avec lui.
Quelques minutes plus tard, allongé sur un lit trop moel-leux, son fils collé contre lui, Davidowicz sâabandonnait dans la contemplation des fentes entre les planches du plafond.
Longtemps après que le garçon se fut endormi, il demeura là , perdu dans ses pensées. à la fin, alors quâil devenait impossible de retarder encore la conversation inévitable, il se leva pour rejoindre Ãlise Trudel dans la pièce à côté, un salon meublé modestement.
â Tu as vu ces affiches? demanda-t-il en sortant celle qui se trouvait dans sa poche pour la lire une nouvelle fois.
â Oui, un groupe dâexcités sâest promené dans les rues ce matin, pour les coller. En fait, toute la semaine, lâatmosphère a été survoltée.
â Les Juifs ont adopté ce coin de paradis il y a quelques années et y ont pris leurs aises. Ils auraient mieux fait de se disperser dans des lieux divers!
Visiblement, Ãlise ne souhaitait pas parler de la sociologie de la villégiature dans les Laurentides. Peut-être son amant aurait-il plus de succès en évoquant la politique:
â Tu as lu les journaux? Tout semble indiquer que le couloir de Dantzig servira de prétexte à Hitler pour déclencher les hostilités.
Depuis la Grande Guerre, en conséquence de la négociation du traité de paix à Versailles, un
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