L'Eté de 1939 avant l'orage
paroisse. Les manifestants sont des Canadiens français de Sainte-Agathe, de Val-Morin et de Val-David. Les «étrangers» auxquels ils sâattaquent viennent de Montréal, mais il y a un certain nombre de personnes dâorigine italienne parmi eux. Une nouvelle forme de lâ«Achat chez nous»: nâachetons que la force de travail des nôtres.
â Julietta aussi est dâorigine italienneâ¦
Le constat venait de Nadja, dont les explosions nâavaient heureusement pas troublé le sommeil. Lâété de 1939 lui faisait mesurer combien ces distinctions dâappartenance, jusque-là sans importance à ses yeux, déchiraient plusieurs de ses compatriotes. Sa mère poursuivit:
â Que doit-il se passer aujourdâhui?
â Les travaux de réfection de la route entre Sainte-Agathe et Val-David devaient reprendre ce matin. Ces hommes entendent empêcher quâils se poursuivent aussi longtemps que les travailleurs locaux nâauront pas remplacé ces gens.
En réalité, plus de deux cents hommes dépenaillés allaient provoquer de la voix les travailleurs étrangers en agitant des gourdins au-dessus de leur tête. Quelques bâtons de dynamite exploseraient encore à une distance suffisante pour ne blesser personne. La seule victime de ces violences serait un terrassier dâorigine italienne. Il paya dâun nez cassé son désir de répondre aux insultes dont on lâabreuvait. La présence de nombreux membres de la Police provinciale permit de prévenir la multiplication des incidents de ce genre.
Le lendemain, les journaux montréalais et la rumeur locale, considérablement plus bavarde, permirent à la famille Daigle de connaître la fin de lâépisode. En fin dâaprès-midi, alors quâune journée à hurler des menaces laissait les manifestants un peu fatigués, M gr Jean-Baptiste Bazinet sâétait présenté sur les lieux en voiture, conduit par son fidèle vicaire. Un peu pâle, mal remis de lâindisposition qui, la veille, lâavait empêché de célébrer la messe, il avait obtenu que le président de la Highway Paving Company, un certain Francheschini, négocie avec lui. Lâentrepreneur était venu de Montréal afin de voir ce qui se passait, sa grosse voiture offrit un lieu à la fois discret et confortable pour mener des tractations.
Après une demi-heure de conciliabule, les deux hommes sortirent du véhicule et se serrèrent la main avec ostentation sous les yeux des manifestants. Ensuite, le prêtre alla inviter les grévistes à rentrer chez eux avec la promesse que les «étrangers» retourneraient dâoù ils venaient et que dès le lendemain des travailleurs locaux pourraient les remplacer.
Comme il lâavait fait au petit-déjeuner, Renaud reprit son rôle de reporter au bénéfice de sa famille à lâheure du souper.
Toute la journée, lâavocat sâétait approché de tous les groupes dâhommes sur les trottoirs ou près du lac des Sables en tendant lâoreille, poussant lâaudace jusquâà poser toutes les questions qui lui venaient à lâesprit.
â Au fond, notre prélat domestique vient de rejouer sur les bords dâune route de la province la scène du concordat entre Mussolini et le pape. Un petit entrepreneur dâorigine italienne a joué le rôle du Duceâ¦
â Et ton curé favori celui du souverain pontife, compléta Virginie.
Comme elle lâavait fait au matin, Nadja écoutait attentivement, amassant une provision dâinformations sur les rapports sociaux.
26
Dans la matinée du 1 er août, un mardi, alors que la famille Daigle profitait de sa cour arrière et de la rive du lac des Sables, le bruit dâune voix un peu mécanique se fit entendre depuis la rue. Le message, répété sans cesse, devint bientôt intelligible:
â Attention, attention, ce soir aura lieu une réunion publique au Collège de Sainte-Agathe, afin de discuter du problème juif. Lâassemblée, présidée par M gr Bazinet, commencera à dix-huit heures trente. Attention, attentionâ¦
Déjà , la voix devenait moins audible. à la campagne, le meilleur moyen de faire passer un message rapidement était dâavoir recours à lâune de ces voitures surmontées
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