L'Eté de 1939 avant l'orage
la rue et sur les trottoirs, les femmes israélites portaient les maillots de bain les plus indécents de la terre.
Nadja exprimait son déplaisir par de longs soupirs lassés, mais elle se blinda au point de passer à travers ce sermon sans piquer une colère. Largement après onze heures, au moment de rentrer à la maison, elle observa:
â Les rues du village sont plutôt désertes.
La fillette avait raison. La fin de semaine, les rues étaient encombrées de nombreuses personnes. Malgré le temps radieux, ce jour-là , une fois la foule présente à lâéglise éparpillée, il ne restait plus grand monde.
â Je présume que tous les Juifs ont préféré demeurer chez eux, de même quâune bonne partie des chrétiens, de peur dâattraper un mauvais coup.
De plus, les touristes qui venaient de Montréal pour une journée ou deux avaient dû sâégailler dans dâautres villages, de Sainte-Adèle à Saint-Faustin. La croisade de lâecclésiastique devait sans doute porter préjudice à lâindustrie touristique. Renaud et sa famille mangèrent ce jour-là dans le restaurant situé en diagonale du presbytère. La salle à dîner demeura à moitié vide.
Un cauchemar inoffensif, en quelque sorte. Comme ceux pendant lesquels on se dit: «Ce nâest pas grave, je rêve.»
Renaud se trouvait dans une tranchée, des obus explosaient au loin, trop loin pour représenter une menace.
â Quâest-ce que câest? Tu entends ce bruit?
Voilà que Virginie lui parlait dans ses rêves, maintenant! Leur couple poussait sans doute un peu trop loin la communication.
â Renaud, réveille-toi!
Finalement, lâhomme se dressa à demi dans son lit, secoua la tête pour reprendre tout à fait conscience. Une autre fois, résonna un bruit sourd, lointain.
â As-tu entendu, cette fois?
â Une explosion, cela ne fait pas de doute.
Un coup dâÅil à lâhorloge posée sur la table de nuit lui apprit quâil était tout juste cinq heures. Bientôt, une clarté blafarde signalerait la levée du jour. Renaud se leva, passa un peignoir et descendit au rez-de-chaussée. En ouvrant la porte à lâavant de la maison, il constata que ses voisins avaient eu le même réflexe que lui. Personne ne savait ce dont il sâagissait.
â Ils ont volé de la dynamite? demanda sa femme.
â à tout le moins, câest la rumeur qui circulait à la gare.
Levé avant le soleil et incapable de retourner au lit, Renaud était allé chercher les journaux imprimés à Montréal à la gare. Les différents quotidiens venus de la grande ville passèrent directement dâun wagon à ses mains. Les nouvelles lui parvenaient un peu plus vite que sâil était allé les chercher chez son distributeur habituel. Mais la rumeur populaire lui apportait des informations autrement plus dramatiques: la grève des ouvriers de la construction de la région meublait toutes les conversations. Les chauffeurs de taxi en particulier paraissaient les mieux informés. Dès le début de la nuit, ils avaient vu des hommes allant en petits groupes avec des airs de comploteurs.
â Quelquâun a été blessé par ces explosions? questionna encore sa femme, plutôt inquiète.
â Non. Leur objectif était sans doute dâempêcher leurs concurrents de dormir, pour les rendre un peu nerveux. Les charges ont été placées aussi près que possible des maisons de chambres qui logent les travailleurs venus de Montréal, sans faire courir de risques à personne cependant. Seuls quelques carreaux ont été brisés.
En réalité, il sâagissait dâun bien curieux mouvement de grève, mené non pas par des personnes qui abandonnaient leur travail, mais par des chômeurs prêts à tout pour dénicher un emploi. Pour cela, ils nâavaient rien trouvé de mieux que de chasser leurs concurrents de ceux quâils occupaient.
â Leur stratégie est de faire suffisamment peur à ces gens venus de Montréal pour quâils retournent là -bas et libèrent les places, résuma Virginie après les explications de son époux.
â Un mouvement qui nâest sans doute pas étranger aux discours des bons prêtres qui dirigent cette
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