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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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d’une paire d’énormes haut-parleurs en forme de cornet. Bien sûr, un coup de fil à un notable aurait pu avoir le même effet. Les lignes privées étant plutôt rares, les curieux se trouvaient toujours nombreux à espionner les conversations des autres.
    Du hamac où elle somnolait à demi, Virginie demanda pour la forme, car elle connaissait déjà la réponse:
    â€” Je suppose que tu ne voudras pas rater ce rendez-vous?
    â€” Tu sais, cela ne présentera aucun risque. Une assemblée présidée par un évêque… Bon, il s’agit d’un prélat domestique, quelque chose comme une enflure de prêtre, mais tout de même, il saura maintenir l’ordre, répondit Renaud, désireux de rassurer sa conjointe.
    â€” Bien sûr… Combien les tribunaux de l’Inquisition dirigés par des prélats domestiques comme lui ont-ils fait de victimes?
    â€” Quelques milliers sans doute, mais aucun avocat affublé de lunettes ne figurait parmi elles.
    Comment accueillir pareil argument autrement qu’en tirant la langue? Le passage des jours rendait moins vive l’inquiétude ressentie lors de leur dernière visite à Outremont.
    Toutefois, le couple dormait toujours avec un revolver sur la table de chevet, évitait de se trouver le soir dans des endroits sombres ou isolés, verrouillait la porte toutes les nuits.
    En après-midi, la famille se livra à une longue promenade dans les collines autour du village. Au moment de rentrer, Renaud entraîna ses compagnes dans un commerce appelé éloquemment Roland Cloutier Électrique. Des appareils radio et des phonographes, en vitrine, avaient accroché ses yeux. À l’intérieur, le consommateur compulsif comprit très vite qu’il ne ferait aucun achat: rien dans la marchandise ne souffrait la comparaison avec ce qui se trouvait dans les boutiques spécialisées de l’ouest de Montréal. Près du comptoir, un jeune homme déjà ventripotent et portant une paire de lunettes à monture de corne montrait une petite radio à un vendeur qui aurait pu être son reflet avec une dizaine d’années de plus:
    â€” Celui-là, tu me le laisses à combien?
    â€” Dix dollars, après le rabais des employés…
    â€” Fais un effort, je suis aussi ton frère… C’est pour mon amie.
    â€” La fille du Nouveau-Brunswick? Celle qui garde les enfants chez les Nadler? Quel est son nom déjà?
    â€” Isabelle Comeau.
    â€” Bon, huit dollars pour faire plaisir à la future madame Gérard Cloutier.
    Un sourire amusé sur les lèvres, Renaud regardait les disques soixante-dix-huit tours placés sur des étagères.
    â€” Tu espionnes les villageois, ou tu veux vraiment acheter ce disque? interrogea Virginie dans un murmure, un regard ironique dans les yeux.
    â€” C’est rassurant de penser que des Agathois se passionnent pour autre chose que détester les Juifs. Mais je vais te surprendre: j’achète ce disque. Cela va nous changer d’entendre La Bolduc.
    C’est en marmonnant «J’ai un bouton su’l’bout d’la langue qui m’empêche de turlutter…» que l’avocat se rendit au comptoir pour payer le soixante-dix-huit tours.
    Un peu plus tard, alors que la famille revenait sur le trottoir, une rumeur se fit entendre. Bientôt, une centaine de personnes tourna le coin de rue le plus proche, occupant le milieu de la chaussée et scandant «Sainte-Agathe est un village canadien-français! Nous voulons qu’il le demeure!»
    Comme dans une chanson à répondre, d’autres complétaient:
    Â«Dehors les Juifs! Le Canada aux Canadiens!» La plupart des manifestants portaient des vêtements modestes. Seulement quelques-uns, parmi eux, devaient appartenir à la classe moyenne villageoise, composée de petits commerçants, d’employés et de professionnels aux ambitions limitées. Des gens qui demeuraient convaincus que le départ des Juifs leur donnerait un meilleur travail, de plus belles maisons.
    La troupe s’attarda un moment devant l’église paroissiale, jappa un peu plus fort ses slogans, pour s’engager ensuite dans la rue Saint-Vincent. Là, ils redoublèrent d’ardeur devant le restaurant Belson, puis près d’un cinéma: ces commerces appartenaient à des

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