L'Eté de 1939 avant l'orage
anomalie.
Lâallusion au «Salon de la race» sâavérait une invitation pour les nombreux militants de Sainte-Agathe qui avaient fait le trajet jusque-là afin de connaître lâopinion du député sur la croisade nationale entreprise dans les Laurentides. Une voix gouailleuse lâinterpella sur le sujet.
â En tant que député provincial, répondit le petit homme, jâendosse entièrement les directives de M gr Bazinet en faveur des électeurs chrétiens de mon comté. Il faut de toute nécessité que cette partie de la province conserve le caractère touristique que les Canadiens lui ont donné. Le trop grand nombre dâétrangers va chasser les estivants, faire chuter le prix des propriétés, nous réduire à la misère. Dâailleurs, je parlais déjà en ce sens lors des élections de 1936, alors que mon opposant préférait demeurer chez lui.
Tout en parlant dâune voix forte, le député cherchait dans la foule des regards amis. Depuis des semaines que les élus ou les candidats unionistes de la province multipliaient les assemblées publiques en vue du prochain rendez-vous électoral, chacun sâassurait au préalable de pouvoir compter sur un nombre suffisant de supporters pour voir son discours émaillé de salves dâapplaudissements et de «Bravos». Ses mots sur la présence étrangère furent bien accueillis. Constatant que sa position sur le sujet lui méritait des appuis, Barrette lança bientôt:
â Mais il me semble voir, tout discret à lâarrière, mon honorable adversaire de lâautomne prochain, Athanase David.
Peut-être celui-ci voudra-t-il vous dire ce quâil pense de lâaction de son curéâ¦
Des centaines de têtes se tournèrent vers les abords du petit parc situé près de lâéglise de Saint-Jérôme. Lâancien ministre libéral ne pouvait rester silencieux:
â Comme cette petite réunion permet à mon éminent collègue de présenter son bilan, je ne vais pas transformer lâévénement en assemblée contradictoire. Mais si Maurice Duplessis trouve le courage de déclencher des élections cet automne, et si monsieur Barrette le désire toujours, je serai prêt à débattre avec lui dans toutes les paroisses du comté de Terrebonne de tous les sujets qui intéressent les électeurs.
Dâici là , je vais continuer de profiter de mes vacances.
Un murmure accueillit les mots de David.
â Mon collègue a raison de prendre des vacances. Il aura besoin de toutes ses forces lors de la prochaine élection. à ce moment, il aura peut-être la franchise de vous dire aussi ce quâil pense dâune participation canadienne à une guerre européenne.
â Ce sera avec plaisir. à ce moment, je rappellerai aussi que le chef de monsieur Barrette, Maurice Duplessis, alors membre du Parti conservateur, a défendu la conscription en 1917 lors dâassemblées semblables à celle dâaujourdâhui. Dans ce temps-là , comme aujourdâhui, les libéraux sâopposaient à la conscription.
La réponse ne manquait pas dâhabileté, elle suscita de nouveaux murmures. Après avoir adressé de grands signes dâamitié aux personnes présentes, Athanase David tourna les talons pour sâéloigner du parc. Renaud lui emboîta le pas.
Alors quâils regagnaient la Packard, lâavocat commenta:
â Bien sûr je suis un néophyte des campagnes électorales, mais ne croyez-vous pas que vous auriez mieux fait de ne pas éluder la question de lâantisémitisme? Je vous connais assez pour savoir que cette campagne de haine vous répugne autant quâà moi.
â Pour me faire traiter dâami des Youpins, comme cela vous arrive depuis quelques semaines? Ce ne serait dâaucune utilité. Laissons nos concitoyens tricotés serrés sâégosiller sur cette question. Ce feu de paille va se consumer très vite, et la plupart des gens auront bientôt honte de sâêtre laissé emporter dans cette histoire.
Renaud nâajouta rien, habité de lâespoir que son compagnon avait raison.Â
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Lâhôtel Castel-des-Monts, une grande bâtisse à la toiture en angle aigu dotée de lucarnes, avait été érigé sur la
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