L'Eté de 1939 avant l'orage
à mi-voix.
â Câest bien vrai. Mais que ferais-tu si tous les garçons les aimaient? Imagine un peu la file dâattente pour danser avec toi, tu ne suffirais pas à la tâche.
â Cesse de me taquinerâ¦
Nadja rougissait un peu⦠tout en jetant un coup dâÅil sur les jeunes gens dâà peu près son âge qui se trouvaient dans la salle.
â Mais je ne te taquine pas. Tu vois, moi et ta mère consacrons notre vie à faire de toi une jeune fille parfaite. Et un jour, un garçon tout couvert de boutons, ou alors un petit gros, va venir te chercher⦠un gars qui se rongera les ongles ou se décrottera le nez à tableâ¦
â Ouash! Tu es dégoûtant!
Elle plissait le nez, tout en maîtrisant une envie de pouffer de rire. La valse sâachevait. En revenant vers la table Nadja continua:
â Tout de même, je te promets que je vais en trouver un qui sait se tenir à table et se servir dâun mouchoir.
Un moment plus tard, Renaud invita madame Bielfeld à danser, le voisin fit de même avec Virginie. Alors que les adultes sâoccupaient ailleurs, deux gamins sâenhardirent jusquâà inviter Nadja et Fran. Les parents passèrent les minutes suivantes à se tordre le cou pour ne rien perdre de la scène, amusés et émus par leur progéniture. Touchantes de gaucherie, les deux jeunes filles arrivaient tout de même à ne pas sâemmêler les pieds.
Une heure plus tard, les Daigle et les Bielfeld reprenaient le chemin de la maison en trois groupes séparés. Les deux femmes ouvraient la marche, accompagnées de Sarah Weinstein qui avait accepté une invitation à souper chez les Bielfeld. Les hommes suivaient une trentaine de pas derrière.
Les jeunes filles fermaient la marche en discutant à voix basse des événements de lâaprès-midi.
La petite langue de terre qui réunissait la presquâîle à la rive du lac devenait si étroite quâun pont permettait aux voitures et aux camions de passer. Au milieu du tablier, les poutres demeuraient noircies: un feu avait été allumé là au milieu de la nuit dernière.
â Les policiers affirment que cela vient dâun feu pour brûler des ordures, commenta Bielfeld, un accident. Des conneries, oui. Quelquâun a essayé dâincendier le pont afin de ruiner le Castel-des-Monts. Heureusement, des employés de lâhôtel ont pu lâéteindre tout de suite.
â Les rumeurs au sujet du vandalisme sont donc vraies?
â Oui. Rien de trop grave: des graffitis haineux sur les murs, des carreaux brisés, notamment à la synagogue. Tout de même, cela devient insupportable.
Un jeune garçon dâune douzaine dâannées les dépassa à bicyclette. Il tenait le guidon dâune main, de lâautre agitait un bâton comme sâil sâagissait dâune épée. Au moment de dépasser les femmes, il brandit le bâton et en asséna un grand coup à Sarah Weinstein en criant:
â Sale Juive, retourne chez toi!
La musicienne marchait au milieu de la chaussée. Un réflexe lui permit de lever le bras pour protéger son visage, le bâton porta sur sa main. Son cri bref incita les hommes à prendre le pas de course. Pendant ce temps son agresseur laissa tomber son arme sur le sol pour prendre le guidon à deux mains et peser sur les pédales de tout son poids.
â Vous êtes blessée? demanda Renaud en arrivant à la hauteur de la pianiste.
Celle-ci tenait sa main gauche dans la droite en geignant faiblement:
â Ma main, ma mainâ¦
â Essayez de bouger les doigts, continua-t-il du ton qui lui venait naturellement pour consoler sa fille dâune mauvaise chute.
Sarah Weinstein sâexécuta. Chacun des doigts pliait sans entraîner de vive douleur. Elle en serait sans doute quitte pour une contusion sur le dos de la main.
â Tout de même, le mieux serait de mettre de la glace, afin de prévenir lâenflure. Je ne pense pas que votre jeu sera affecté pendant plus dâun jour ou deux.
Lâavocat décida de marcher à gauche du petit groupe de femmes, Bielfeld à droite. Les deux fillettes les avaient rejoints au pas de course, chacune prenant la main de son paternel.
â Ce garçon est vraiment cruel, remarqua Nadja. Frapper ainsi la main dâune
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