L'Eté de 1939 avant l'orage
pianiste.
â Il visait le visage⦠Il ne fait que reproduire le comportement des adultes, commenta son père.
à en croire les différents journaux qui couvraient les événements de Sainte-Agathe, les lecteurs concluraient que Sarah Weinstein avait été la seule victime dâun acte de violence perpétré contre un Juif. Bien sûr, lâévénement fit toutefois monter la tension dâun cran dans le gros village.
Le retour à la maison fut plus tranquille. Renaud remarqua même un nombre plutôt imposant dâagents de la Police provinciale dans les rues. Depuis la manifestation ouvrière et les discours antisémites de M gr Bazinet, les forces de lâordre et les journalistes gardaient un Åil intéressé sur Sainte-Agathe. La rumeur voulait que le directeur de la police, le colonel Piuze, profitât du fait que sa résidence secondaire se trouvait dans la région pour surveiller lui-même la situation.
Déjà , le curé et le maire avaient chacun eu droit à sa visite.
Au retour du Castel-des-Monts, lâavocat avait invité les voisins et leur invitée à venir prendre lâapéritif sur la grande galerie qui faisait face au lac. Sarah Weinstein tenait un sac rempli de glaçons sur le dos de sa main gauche. Elle le soulevait régulièrement afin de voir si un bleu apparaissait et si ses jointures garderaient leur mobilité.
â Vous savez que les compagnies dâassurances menacent de retirer la protection relative aux incendies aux maisons du village? demanda Bielfeld à Renaud.
â Non, je ne savais pas. Tout cela à cause de ces excités?
â Si quelquâun se mettait en tête de mettre le feu aux maisons pour nous chasserâ¦
Les deux hommes discutaient à mi-voix afin de ne pas alarmer leurs compagnes.
â Je ne pourrai pas rester ici la semaine prochaine, comme je viens de le faire. Une dizaine de jours de vacances, câest le plus que je peux me permettre. Si je retourne à mon commerce lundi prochain, je crois quâil vaudra mieux amener la famille avec moi. Sinon, je vais me torturer dâinquiétude.
â Vous savez, je pourrai jeter un coup dâÅil sur votre maison, proposa Renaud.
â Mais vous-même, ne prévoyez-vous pas dâécourter un peu votre séjour?
â Oui, sans doute. En même temps, je mâen voudrais de laisser ces gens me chasser. Puis ils vont sans doute se lasser assez vite de toute cette folie.
Bielfeld vida son verre, refusa dâen prendre un autre. Après un moment, il baissa encore la voix dâun ton pour dire:
â Sans doute sâagit-il de rumeurs germées dans des esprits inquiets, mais les gens de ma communauté parlent dâune grande manifestation nazie dans les rues de Sainte-Agathe dimanche prochain. Des boîtes remplies dâaffiches portant des croix gammées auraient été acheminées jusquâici.
â Cela explique sans doute la présence policière. Vous avez vu tous ces uniformes?
â Et ceux qui portent des vêtements civils⦠compléta Bielfeld.
Alors que son interlocuteur levait les sourcils pour exprimer sa surprise, le voisin continua:
â Croyez-en un vendeur dâhabits: personne ne sâhabille aussi mal quâun policier qui essaie de passer inaperçu. Alors les estivants mal vêtus qui errent dans les rues avec lâair de ne rien voir du paysage sont sans doute ici en mission de surveillance.
Lâavocat nâavait rien remarqué de tel, mais il voulait bien croire que les personnes susceptibles de devenir des victimes développaient un sixième sens quand il sâagissait de repérer les personnages les plus louches. Comme dans lâhistoire les représentants du pouvoir avaient souvent été les tortionnaires zélés des Juifs, ceux-ci devaient savoir les reconnaître.
Si les Bielfeld occupaient la maison sur la droite de celle des Daigle, un financier de langue anglaise se trouvait dans celle de gauche. Un homme efflanqué aux cheveux gris passa la tête au-dessus de la haie et, après quelques «Sir, sir» pour attirer lâattention de Renaud, il lui demanda en agitant une feuille de papier:
â Cela vient tout juste dâarriver par la poste, mais je ne comprends rienâ¦
Lâavocat alla le rejoindre, jeta un Åil sur la lettre, expliqua Ã
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