L'Eté de 1939 avant l'orage
présenter les résolutions quâune assemblée de la population de Sainte-Agathe a approuvées il y a à peine quelques minutes.
Un silence accueillit cette déclaration puis, bon prince, le maire invita le porte-parole à procéder. Celui-ci commença par sa série dâ«Attendus», enchaîna avec la première résolution, celle relative au comité spécial, poursuivit avec la seconde au sujet de la caisse de secours. Lâhomme conclut en disant:
â La population de Sainte-Agathe demande maintenant à ses élus dâadopter une résolution en bonne et due forme déclarant que les Juifs ne sont pas les bienvenus dans notre ville.
Renaud échangea un regard avec Athanase David. Le secrétaire de lâassemblée populaire outrepassait les attentes exprimées un peu plus tôt, mais les personnes présentes, les plus déterminées, firent entendre un murmure dâassentiment.
â Voyons, les choses ne se passent pas comme cela⦠commença le maire Forget.
â Tu préfères vendre tes maisons aux Juifs, cria quelquâun dans la salle. Tu trahis ta race.
Lâélu demeura interdit, chercha lâauteur de ces insultes des yeux, puis commença dâune voix moins assurée:
â Ces rumeurs sont ridicules! Vous savez ce qui sâest passé. Jâavais une petite maison où habitait mon fils. Avec le temps, les propriétés tout autour sont passées dans des mains israélites. Quand jâai voulu vendre à mon tour, aucun acheteur chrétien ne mâa fait dâoffre, justement à cause des voisins. Jâai été obligé de vendre à un Juif. Autrement, jâaurais dû la laisser vide.
Avec ce plaidoyer, Forget donnait raison aux manifestants: transformée en ghetto, Sainte-Agathe voyait fuir les chrétiens.
Deux jours plus tard, le magistrat donnerait la même explication aux journalistes venus de Montréal pour lâinterroger.
â Câest justement pour que ce genre de situation ne se répète pas que nous avons formé notre comité, expliqua le porte-parole de la petite foule.
Alors que le maire ne savait visiblement pas quelle contenance se donner, un échevin, Maurice Demers, demanda la parole:
â Nous ne pouvons régler la question comme cela, à brûle-pourpoint. Ce sujet mérite cependant notre considération. Je propose que nous formions un comité municipal, dans lequel seront admis les principaux citoyens de Sainte-Agathe, pour étudier la situation face aux Israélites dans cette ville et prendre les moyens voulus pour y remédier.
Lâhomme parlait en bon avocat. Cette proposition avait lâavantage de nâengager en rien le conseil municipal: ce comité pouvait tout autant recommander de vider la ville des Juifs que chercher à faire taire les antisémites.
â Cet échevin, Demers, sâest rendu coupable du même crime que le maire! grommela Athanase David entre ses dents à lâintention de Renaud. Il a vendu une maison à un Juif.
â Tu vas mettre des Youpins sur ton comité? demanda une voix dans la salle.
â ⦠Je veux bien allonger ma proposition, corrigea lâéchevin après un silence un peu lourd. Le comité municipal ne comptera aucune personne dâorigine sémite.
La proposition ainsi amendée fut secondée, le conseil municipal lâadopta à lâunanimité. La dernière précision faisait espérer aux spectateurs que le comité recommanderait aux élus lâadoption dâune mesure dâexclusion des Juifs, à lâinstar de nombreux conseils municipaux de la province.
Dans les minutes suivantes, on procéda à la nomination des membres du comité. Le porte-parole des manifestants fut le premier choisi, de même que quelques autres ayant participé à lâassemblée. Comme plus tôt dans la soirée, quelquâun suggéra bientôt:
â Athanase David, notre ancien député.
Tous les regards se tournèrent vers le politicien, qui affichait son malaise de se trouver là .
â ⦠Malheureusement, je dois décliner lâhonneur que vous me faites. Vous connaissez les rumeurs dâélection. Si cela se concrétise, je devrai y consacrer tout mon temps.
Ce mauvais motif ne convainquit personne, mais fournit un prétexte à un badaud qui
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