L'Eté de 1939 avant l'orage
avait incité le conseil municipal à participer plus activement à sa grande entreprise nationale.
Les édiles demeurant dans une attente frileuse, une assemblée populaire leur rappellerait tout le danger quâune indifférence trop prolongée ferait peser sur le prochain rendez-vous électoral.
Très vite, des murmures dâassentiment parcoururent la pièce. Lâabbé Charland sâempressa de demander si quelquâun proposait la levée de lâassemblée. La formalité réglée, la salle se vida rapidement de ses occupants. Si une moitié des participants se dispersèrent, les autres formèrent un cortège pour se rendre à lâhôtel de ville.
â Monsieur David, quelque chose me dit que vous entendez participer aux prochaines élections, déclara Renaud.
Machinalement, en emboîtant le pas aux militants de M gr Bazinet, lâavocat sâétait approché dâAthanase David, qui avait eu le même réflexe que lui.
â Que voulez-vous dire? fit lâautre, visiblement un peu gêné.
â Si vous avez décliné lâoffre de faire partie du comité de ces catholiques de choc, vous vous êtes résolu à regret à mettre la main dans votre poche pour aider les commerçants que la désertion des Israélites va mettre en difficulté. Vos convictions humanistes vous interdisent de vous rallier à ces gens, je le comprends parfaitement, mais votre générosité restera présente dans lâesprit de ces bonnes gens au moment des élections. Vous ménagez la chèvre et le chou.
â Ah! Pourquoi ne pas vous être fait curé? Vous savez si bien sonder les cÅurs. Quoique je ne sois pas certain dâapprécierâ¦
Pendant des années, Renaud et Athanase David avaient entretenu les meilleures relations du monde, se trouvant tous les deux un peu à la gauche du Parti libéral. Lâarrivée de lâUnion nationale au gouvernement du Québec en 1936 avait mis leur relation entre parenthèses: lâavocat parce quâil ne recevait plus aucun mandat, le politicien parce quâil avait omis de se présenter cette année-là .
â Plus sérieusement, les élections approchent à grands pas. Paul Gouin est venu me demander de me présenter.
â Pour lâAlliance libérale nationale? Quâavez-vous dit?
â Que je ne commettrai pareille folie que pour le Parti libéral. Mais je résisterai à la tentation, nâayez crainte.
â Ce nâest pas une expérience si désagréable.
â Oh! Vous avez certainement adoré lâélection de 1935.
Cette année-là , Athanase David lâavait emporté par une voix dans le comté de Terrebonne, celle du «rapporteur dâélection». Il nâaurait eu aucune chance lors du balayage unioniste de lâannée suivante; plutôt que dâaller à lâhumiliation, lâhomme avait cédé sa place.
â Vous avez toujours une maison dâété à Sainte-Agathe? questionna lâavocat après une pause.
â Oui. Et de votre côté?
â Jâai loué. Aussi je nâassiste pas à ce délire raciste en tant que citoyen, mais plutôt en curieux. Vous entrez voir vos édiles municipaux être dépassés par la populace?
La petite foule entrait dans lâimmeuble de briques rouges de lâhôtel de ville. Dans la salle du conseil, les élus sâalignaient en un demi-cercle face à des chaises jusque-là vides. Habituellement, cinq ou six curieux assistaient aux délibérations. Voilà que la moitié des nouveaux venus devaient rester debout: pareille affluence ne sâétait jamais vue depuis la fondation de la ville au siècle dernier. Face au désordre bruyant, le maire Charles-Euclide Forget tapait avec son maillet sur la table de bois en disant:
â Messieurs, messieurs, sâil vous plaît. Respectez un peu nos travaux.
Si lâassemblée précédente sâétait déroulée à lâinitiative du curé et de son vicaire, les dignes ecclésiastiques nâavaient pas voulu venir troubler la réunion des pouvoirs civils. Cependant, le commerçant qui avait fait office de secrétaire devenait le représentant autoproclamé du bon peuple en colère:
â Monsieur le maire, nous venons vous
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