L'Eté de 1939 avant l'orage
visite?
â Vous avez déjà entendu parler du Saint-Louis ?
â Le nom me dit quelque chose, mais rafraîchissez-moi la mémoire.
Le médecin posa son verre, son interlocuteur fit de même.
â Le 13 mai dernier, neuf cent sept Juifs se sont embarqués sur un navire dans le port de Hambourg, le Saint-Louis .
Il a mis le cap sur La Havane, à Cuba. La traversée a coûté à chacun une petite fortune. Vous le savez, les Israélites ne peuvent plus occuper un emploi en Allemagne ou en Autriche.
Pour amasser lâargent du voyage, souvent les familles se sont cotisées, elles ont mis en commun tout ce quâelles possédaient, pour procurer à lâun des leurs un passeport pour la survie. Certaines de ces personnes venaient tout juste de sortir du camp de Dachau.
â Je connais bien les misères de vos coreligionnaires sous la botte des nazis.
Davidowicz lui adressa un signe dâassentiment, heureux de sâépargner une longue description de la situation dans le Reich allemand.
â Depuis deux jours, le navire se trouve devant la capitale cubaine. Les autorités refusent absolument de laisser descendre les passagers.
â Ces gens sâattendaient à être acceptés?
â Ils avaient acheté des «permis» de débarquement, à titre de touristes. Une petite transaction qui a permis à un fonctionnaire cubain de devenir très riche. Une semaine avant leur départ, un nouveau décret a été adopté par le gouvernement cubain, rendant caducs ces permis et précisant que les réfugiés ne seraient plus accueillis. Les passagers ne le savaient pas.
â Et même sâils lâavaient su, lâissue pour eux, en Allemagne, câest le camp de Dachau, murmura Renaud.
Lâannée précédente, les autorités allemandes avaient lancé un pogrom sur leur territoire, une gigantesque chasse aux Israélites pendant laquelle il avait été permis de battre, assassiner ou violer les membres de la minorité. Lâhistoire retenait lâévénement sous le nom de Nuit de cristal, une allusion à toutes les vitrines des commerces possédés par des Juifs réduites en pièces pendant ces heures du 9 au 10 novembre 1938. Au terme de cette agitation, en plus des innombrables meurtres, plus de vingt-six mille personnes sâétaient retrouvées dans des camps de concentration, dont Dachau, soumises à un travail épuisant et à des tortures cruelles.
â Le navire se trouve toujours à La Havane?
â Oui, encerclé par une flottille de petites embarcations de police. Personne ne peut essayer de sauter à la mer pour rejoindre la rive à la nage. Pendant quelques jours, une rumeur a circulé: contre 250 000 $, le président cubain accepterait de laisser débarquer ces pauvres gens. Mes informateurs me disent que câest faux. Le navire devra rebrousser chemin.
â Quâarrivera-t-il aux passagers?
Lâautre lui adressa un geste de la main, pour exprimer son désarroi.
â Nous essayons de trouver une contrée qui voudrait les accueillir. à ce jour, tous les pays dâAmérique du Sud et dâAmérique centrale ont refusé.
â Du côté des Ãtats-Unis?
â Aucun espoir. Le gouvernement a laissé entrer de nombreux réfugiés déjà . Il semble que ce millier de personnes représente la goutte qui fait déborder le vase. Lâantisémitisme progresse dans ce pays.
Pendant des décennies, des Juifs avaient immigré aux Ãtats-Unis dans lâindifférence totale. Dans le contexte de la crise, avec un chômage très élevé, des voix résonnaient avec véhémence pour fermer la porte aux nouveaux venus. La situation se trouvait compliquée par le discours raciste souvent virulent qui sâexprimait dans divers milieux de ce pays.
â Je saisis très bien lâhorreur que vivent ces gens. Mais je ne vois pas pourquoi vous me racontez tout cela.
Renaud mentait: il comprenait le rôle que son interlocuteur entendait lui faire jouer⦠et ne se sentait pas enclin à accepter.
â Le Canada est immense, peu peuplé. Ils sont moins de mille, intervint le médecin.
â à titre de membre du Parti libéral, vous savez comme moi que la politique officielle du Canada demeure la fermeture des frontières. None is to many :
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