L'Eté de 1939 avant l'orage
à toutes leurs connaissances que les Canadiens français formaient un peuple étrange et incompréhensible.
Pendant ces événements, Renaud Daigle fit une véritable nuisance de lui-même. Mieux valait quâil se montre très respectueux de tous les règlements municipaux à lâavenir, car il ne jouirait dâaucune indulgence de la part des forces de lâordre. Alors quâil sâattardait au poste après le départ de ses clientes, le chef de police vint lui-même se présenter à lui:
â Capitaine Bergeron. Vous nous laisserez un souvenir impérissable de votre visite.
â Tout comme vos hommes pour ces touristes! Quel est votre but au juste? Chasser tous les visiteurs de la ville?
â Faire respecter les règlements municipaux.
â Ils ont été adoptés il y a tout juste une semaine? Car câest nouveau, ce zèle à mesurer les cuisses des gens.
Le chef de police laissa échapper un soupir et déclara, excédé:
â Jâobéis aux ordres. Maintenant, voulez-vous nous laisser travailler?
Cette excuse aurait une grande popularité dans quelques années. Avant dâêtre accusé de faire obstruction au travail policier, Renaud quitta les lieux. Les journaux de la fin de semaine lui apprendraient que dix jeunes femmes avaient été arrêtées pour tenue immodeste en quelques jours, depuis que le maire sâétait senti obligé de faire respecter à la lettre des règlements votés depuis des années pour faire plaisir aux grenouilles de bénitier. Parmi les jeunes femmes prises en faute, aucune Juiveâ¦
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Les agents en civil de la Police provinciale étaient vraiment aussi mal vêtus que lâaffirmait Bielfeld. Pourtant, quand deux dâentre eux entrèrent dans la salle à manger de lâhôtel Murray, à Sainte-Lucie-des-Laurentides, André Blanchet ne les reconnut pas. Il est vrai quâaprès une semaine interminable à lâHôtel-Dieu, il faisait le service aux tables dans un état second. Le jeune interne tenait à conserver ce deuxième emploi car il ne possédait aucune assurance de trouver un cabinet susceptible de le faire vivre, une fois sa formation complétée.
Les deux hommes parlèrent un moment au maître dâhôtel, qui leur désigna le garçon de table du doigt.
â Monsieur Blanchet? demanda lâun dâeux alors quâil sâapprêtait à retourner en cuisine.
â Oui, pourquoi?
â Pouvons-nous discuter dans un endroit plus discret?
Après un moment dâhésitation, le garçon murmura: «Dehors?» Un instant plus tard, le trio se retrouvait dans le stationnement.
â Nous savons que vous avez apporté de Montréal un lot dâaffiches du Parti de lâUnité nationale, fit lâun des policiers.
â Et alors?
â Ne faites pas le malin, intervint lâautre sur un ton familier et vaguement menaçant. Nous voulons les voir.
Blanchet hésita un moment, juste assez longtemps pour que lâun des agents ajoute:
â Vous savez, je ne pense pas que cet hôtel gardera à son emploi un homme qui suscite lâintérêt de la Police provinciale. Ne nous mettez pas de mauvaise humeur.
â ⦠Dâaccord.
Le jeune homme les conduisit dans un petit local situé au sous-sol de lâhôtel, où une dizaine dâemployés trouvaient un logement précaire. Cet arrangement, de même que les restes de table du restaurant, permettait de faire des économies malgré les mauvais salaires. Blanchet tira une vieille valise de sous un lit défoncé, lâouvrit devant les deux policiers.
Une liasse de papier reposait sur les vêtements. Le message sur ces affiches était limpide: «Dehors les Juifs!» Suivait la rhétorique habituelle sur lâimportance de redonner leur pays aux Canadiens français. Des croix gammées venaient appuyer le texte. Au bas de chacune des feuilles, les curieux trouveraient les coordonnées du Parti de lâUnité nationale.
â Vous en avez dâautres du même genre? demanda un policier.
â Non.
Lâautre ramassa la liasse dâaffiches, la prit sous son bras.
â Que faites-vous? Ce nâest pas illégal, plaida Blanchet.
â Dans ce cas, portez plainte à la police. Avec un peu de chance, un juge vous les rendra
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