L'Eté de 1939 avant l'orage
lâest sans nul doute.
â Cette photo a été prise deux bons mois après le meurtre. Le 21 mai, la grossesse était moins visible. Il faudrait lui enlever plusieurs pouces à la taille.
â Oui, mais de toute façon, ce nâétait pas elle, jâen suis certaine.
Les deux autres photographies montraient son visage en gros plan, lâun tout à fait de face, lâautre de trois quarts.
Quoiquâil ne lâeût pas remarqué au moment de prendre le cliché, lâenquêteur comprit que Myriam lâavait repéré. Ses yeux fixaient lâobjectif, inquiets, alors quâelle tournait un peu la tête, les lèvres entrouvertes.
â Aucune ressemblance?
â Aucune, celle-là est à la fois plus jeune et plus jolie. Si vous insistez pour trouver des ressemblances, disons quâelle aussi porte une robe fleurie, comme la visiteuse.
Dâun mouvement rapide, lâenquêteur ramassa le premier jeu de photographies pour en étaler un second sous les yeux de la vieille dame.
â Mais câest la⦠compagne du voisin, sâexclama-t-elle en levant son regard, surprise.
Son hésitation traduisait la recherche du terme exact.
«Traînée» lui était dâabord venu à lâesprit, mais sa mère lui avait enseigné soixante ans plus tôt à éviter les mots de ce genre. La plupart du temps, elle y arrivait.
â Oui. Je sais que vous mâavez dit que ce nâétait pas la visiteuse. Toutefois, je vous demande de regarder encore.
Studieusement, son hôtesse se pencha à nouveau sur les portraits, puis déclara:
â Non, ce nâest pas elle. Bien sûr, elle est de la même grandeur, mais pour le resteâ¦
â Quelles différences voyez-vous entre cette femme et celle que vous avez aperçue à la porte du voisin?
â Dâabord les vêtements. Comme je vous lâai expliqué, la visiteuse portait un imperméable mal coupé, vous savez, genre trench coat . Dessous, elle avait une robe avec de grosses fleurs, un peu criarde, comme les Juives en mettent si souvent. Elle avait la taille plus épaisse. Surtout, les cheveux étaient plus longs.
â Madame, rien de ce que vous venez de me dire nâest très convaincant. Tout ce quâil faut, ce sont des vêtements différents, à la limite un coussin sous la robe pour paraître un peu plus lourde, une perruque sur la têteâ¦
La vieille dame le contempla de ses yeux perçants, les posa ensuite de nouveau sur les photographies représentant Ãlise Trudel. à la fin, elle plaça ses mains des deux côtés du visage, pour cacher les cheveux et les oreilles, afin de se concentrer sur les traits. Quand elle regarda encore une fois lâenquêteur, celui-ci eut lâimpression de la trouver un peu plus pâle.
â Câest possible que ce soit elle. Je ne peux lâaffirmer, mais câest possibleâ¦
Une déclaration de ce genre ne vaudrait rien devant un tribunal. Les dix semaines écoulées, la distance entre son point dâobservation et lâentrée de la résidence voisine, lââge même du témoin, tout cela procurait des armes efficaces à lâavocat de la défense. Jamais le Procureur général ne voudrait porter des accusations sur une base pareille.
â Votre voisin se trouve à la maison aujourdâhui, ou est-il encore à Sainte-Agathe?
â Vous ne savez pas? demanda son interlocutrice en ouvrant de grands yeux. La demeure est à vendre. Vendredi dernier, des gens, des Juifs à en juger par leur allure, sont venus chercher les meubles, la vaisselle⦠Attendez, je vais vous montrer.
La vieille dame quitta la pièce pour revenir un moment plus tard avec le petit hebdomadaire publié à Outremont.
Cette feuille rendait compte des activités du conseil municipal, mais elle servait surtout aux marchands et aux professionnels de la ville pour offrir leurs produits ou leurs services à leurs concitoyens. La voisine avait ouvert le journal à la page des petites annonces. Un entrefilet encerclé de rouge disait: «Maison semi-détachée à vendreâ¦Â» Les personnes intéressées devaient sâadresser à un notaire de la rue Bernard.
â Et ce nâest pas tout, continua son hôtesse en reprenant lâhebdomadaire de ses mains, pour le
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