L'Eté de 1939 avant l'orage
lâhomme en uniforme, celui-ci put enfin poser le début de son ruban à mesurer sur le bas du short de la première des suspectes et établir la distance découverte jusquâau genou. La grande difficulté bien sûr était de savoir sâil fallait compter à partir du haut de la rotule, du milieu ou du bas de celle-ci.
Si la question se rendait un jour jusquâen Cour suprême, cela ferait la fortune des avocats.
â Quel bel emploi pour un vicieux désireux de tâter les cuisses des petites filles, ce jeu du ruban à mesurer, remarqua Virginie à voix haute, assez fort pour que tout le monde entende tout autour.
â Voulez-vous que je vous arrête? questionna le policier avec des yeux furibonds.
â Auparavant, voulez-vous mesurer? clama-t-elle en tendant la jambe.
Le policier commença à se relever, Renaud jugea le moment propice pour se rappeler quâil était avocat:
â Et pour quelle raison voulez-vous arrêter ma femme?
Je mesure sa robe tous les matins, je peux vous assurer quâelle respecte les règlements de la plupart des villes du dominion .
â Obstruction au travail de la police.
â Oh! Je suis certain que nous avons ici plusieurs témoins qui pourront affirmer au juge quâelle ne vous a pas empêché de mesurer quoi que ce soit.
Autour, les badauds murmuraient, hésitant entre le fou rire et la colère. La plupart, de langue anglaise, se demandaient tout bonnement ce qui se passait devant eux. Les autres trouvaient la scène hilarante. à la fin, le policier se retourna vers les deux jeunes filles en disant:
â Je vous arrête. Venez avec moi à lâhôtel de ville.
Comme les deux criminelles ne comprenaient rien, encore une fois Renaud dut leur expliquer quâelles se trouvaient en état dâarrestation pour avoir exposé un demi-pouce à peine de peau au-dessus du genou. à lâincrédulité succéda lâinquiétude.
â Va avec elles, recommanda Virginie.
â Voyons, elles auront à payer une petite amende, sans plus.
â Ce sont des enfants. Accompagne-les.
Lâavocat jeta un coup dâÅil aux deux criminelles. Elles devaient avoir quinze ans, seize tout au plus.
â Monsieur lâagent, vous aurez un passager de plus dans votre véhicule. Je me présente, Renaud Daigle, avocat. Je vais assurer la défense de ces deux personnes.
â Voyons, vous nâêtes pas sérieux!
à tout le moins, Renaud arrivait à présenter le visage le plus sérieux qui soit. En bon avocat, notre homme se promenait toujours avec quelques cartes dans ses poches. Il en présenta une au policier en disant:
â Je suis certain que vous ne voudrez pas mettre deux mineures en état dâarrestation en les privant de la présence de leur avocat.
Pendant cet échange, Virginie trouva moyen de recommander aux deux jeunes filles de ne pas sâinquiéter, quâun éminent professeur de droit constitutionnel assurerait leur défense. Un peu rassurées, elles prirent place sur la banquette arrière de la voiture de patrouille. Lâavocat monta devant avec le policier, qui commençait à maudire son ruban à mesurer.
Une fois dans le poste de police de Sainte-Agathe, qui se trouvait dans lâédifice de lâhôtel de ville, le premier soin des deux prévenues fut de téléphoner à leur paternel respectif.
Comme ceux-ci affichèrent leur incrédulité totale, lâavocat dut chaque fois prendre le combiné pour leur confirmer la nouvelle: dans le royaume de M gr Bazinet, la moralité publique venait de progresser vers un nouveau sommet.
Un peu moins dâune heure plus tard, deux hommes ahuris étaient venus cueillir chacun sa pécheresse et lui apporter une robe. Ils tenaient à éviter quâelles soient de nouveau arrêtées en mettant les pieds sur le trottoir, vêtues de leur short .
Chacun accepta de payer sur-le-champ une amende de quarante dollars, le salaire dâune semaine dâun travailleur qualifié, plutôt que de contester la chose devant un tribunal, cela même si Renaud leur affirmait être prêt à assurer la défense des jeunes filles sans demander la moindre rémunération. En fait, les deux touristes entendaient rentrer dans leur Ontario natal où, pendant des décennies, ils expliqueraient
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