L'Eté de 1939 avant l'orage
Bien sûr, je ne sais pas si tout cela est vrai, et dans lâaffirmative, je doute que Barrette puisse être doublé sur sa droite par un échevin en mal de pouvoir. Mais je ne doute pas un moment que ces petits politicailleurs puissent avoir lâesprit tordu à ce point.
â Les nazis nây seraient pour rien?
â Mais un homme peut à la fois siéger à un conseil municipal et aimer porter une chemise noire.
Comme deux gamines ricaneuses venaient de descendre dâune petite embarcation et venaient vers eux, lâavocat cessa dâévoquer les vicissitudes de la vie politique villageoise.
Combien de temps deux filles de douze ans pouvaient-elles tenir ensemble sur un petit matelas gonflable qui flottait sur un lac glacé? Au prix dâune bonne heure dâexpérimentation, elles devaient convenir que trente secondes représentaient un record absolu. Debout, elles ne tenaient pas un dixième de seconde. Quand les équilibristes revinrent sur la petite place publique de Sainte-Agathe, toutes deux claquaient des dents.
â Tu devrais venir, maman. Lâeau est bonne.
â Jamais tu ne mâentraîneras dans cette eau glaciale, déclara Virginie en leur tendant des serviettes. Regarde tes ongles, ils sont bleus, tes lèvres aussi dâailleurs.
Bien sûr, pour se baigner dans le lac des Sables, il fallait un cÅur à toute épreuve. La jeune femme sâétait contentée de prendre le soleil sur une grande couverture, un livre à la main. Quant à Renaud, peu désireux dâoffrir aux regards son corps on ne peut moins athlétique et portant plus que sa part de cicatrices, il parcourait un journal sur lâun des bancs publics près de la rive. Tout de même, ses petites lunettes teintées de vert lui permettaient de regarder discrètement certaines dames sâébattre devant lui. Les maillots de bain étaient devenus considérablement plus révélateurs que ceux de ses jeunes années. Maintenant, ils laissaient bien peu à deviner. Après tout, le fait dâêtre un époux fidèle nâinterdisait pas de consulter le menu.
à peu près séchées, les fillettes cessèrent de claquer des dents. Une visite dans une petite cabine leur permit de mettre des sous-vêtements secs et une robe. La mère enfila la sienne sur son maillot, plia la couverture, sâoccupa de rappeler à Nadja et Fran de ne rien oublier. Le beau temps se poursuivait encore, malgré tout lâaffluence des touristes diminuait: de nombreux Israélites rentraient à Montréal.
Quand le trio rejoignit Renaud, celui-ci prit sa part des bagages. Comment diable un petit passage sur une plage publique pouvait-il exiger un tel attirail? Un autre mystère de la vie avec des femmes.
Le groupe nâavait pas fait plus de trente pas sur le trottoir quâil se heurta à un petit attroupement. Deux jeunes femmes, des adolescentes plutôt, protestaient dâune voix haut perchée, sur le bord de lâhystérie, alors quâun gros policier se trouvait accroupi devant elles avec un ruban à mesurer dans les mains.
Le fait que les deux «suspectes» parlent anglais et le représentant de lâordre français ne facilitait pas les choses.
à la fin, Renaud nây tint plus et demanda au policier:
â Mais que voulez-vous faire, Ã la fin?
â Mesurer leur short , vous le voyez bien!
Non, cela ne sautait pas aux yeux. Il ne sâagissait même pas dâune blague. Lâune des accusations de M gr Bazinet contre les Juives concernait leurs tenues immodestes. Après un entretien orageux entre le prélat domestique et le maire Charles-Euclide Forget, ce dernier avait demandé au chef de police Bergeron de faire respecter les règlements municipaux sur la décence. Cela voulait dire poursuivre les hommes sâétant rendu coupables de se promener sur la voie publique torse nu, les femmes qui offraient un peu trop dâépaule et de poitrine à la vue â les boutons des blouses avaient intérêt à être attachés de façon à cacher aux regards les rondeurs suspectes â et les personnes des deux sexes qui heurtaient la sensibilité du public en dévoilant des cuisses. Les mollets et les genoux pouvaient être tolérés, semblait-il.
Lâavocat traduisit pour les deux adolescentes le désir de
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