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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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peut-être, dans six mois.
    Sans un mot de plus, les deux cerbères tournèrent les talons. Bien sûr, la Loi du cadenas ne concernait que la propagande communiste, et les hommes du colonel Piuze accumulaient les interventions chez des militants en général aussi naïfs que bien intentionnés. Tout de même, depuis quelques semaines, des films, des livres ou des tracts fascistes retenaient aussi l’attention des censeurs.
    Au moment de revenir à la salle à manger, André Blanchet comprit que son initiative de donner une dimension plus grandiose à la campagne de M gr Bazinet lui coûterait cher.
    Le maître d’hôtel le prit à part pour lui expliquer que ses services ne seraient plus requis. Cette décision ne tenait pas qu’à la visite des deux agents de la Police provinciale: les clients juifs se raréfiaient, il convenait de réduire le personnel, et tous les convives, y compris les chrétiens, cultivaient la fâcheuse habitude de réclamer que le serveur leur présente un visage un peu amène. L’interne surmené y arrivait difficilement.

    Le 6 août au matin, les Bielfeld chargèrent leurs valises dans la grosse Oldsmobile. Leur saison à Sainte-Agathe se terminait terriblement tôt, mais le père ne supportait plus l’idée de laisser sa femme et sa fille seules dans cette ville.
    Une fois le coffre verrouillé, Renaud demanda:
    â€” Vous pensez à vendre?
    â€” Certainement pas maintenant, commenta l’autre avec un sourire. Nos ennemis ont raison sur une chose: les Juifs ont un certain sens des affaires. Beaucoup trop de propriétés se trouveront bientôt sur le marché pour que j’obtienne un bon prix… Vous seriez intéressé?
    â€” Peut-être. Quand le curé sera rappelé par son Créateur, ou que son évêque, M gr Limoges, se décidera à le doter d’une muselière.
    Les deux femmes se faisaient des adieux moins empesés, alors que Fran se morfondait près du véhicule.
    â€” Je vais la chercher, déclara bientôt Virginie.
    Dès la veille, les deux gamines s’étaient épanchées en au revoir larmoyants et s’étaient promis une amitié éternelle.
    Nadja n’avait pas voulu mettre le nez dehors au moment de se lever. Sa mère la trouva debout face à la fenêtre donnant sur le lac, le visage buté.
    â€” Nadja, viens saluer Fran.
    â€” Pourquoi partent-ils? C’est idiot.
    â€” Tu sais pourquoi. Viens, ne te sépare pas de ton amie de telle façon que tu auras honte de la revoir. Viens.
    La fillette se laissa tirer par la main, mais une fois dehors elle se précipita dans les bras de Fran. Après un moment, Nadja retourna cacher sa peine. Peu après, la Oldsmobile s’éloignait du lac.
    â€” Tu tiens toujours à aller à la messe?
    â€” Je crois que M gr Bazinet m’a converti. Tu viens avec moi?
    â€” Aujourd’hui, Georges Minou ne suffira pas à la consoler, les tartines de Julietta non plus. C’est une mission pour Supermaman.
    â€” Je peux faire quelque chose?
    â€” Non. Contente-toi de ne pas attraper un mauvais coup.
    Avec un petit signe de la main, Virginie retourna dans la maison.

    Alors que, pendant les derniers jours, la ville avait été étrangement calme, aujourd’hui les rues regorgeaient de monde. Cela alimentait la rumeur selon laquelle une grande manifestation antisémite allait avoir lieu. Ou alors, plus simplement, les régates annuelles de Sainte-Agathe suffisaient à ramener les touristes.
    L’église paroissiale se révéla tout à fait bondée. Des journalistes de Montréal s’ajoutaient aux curieux désireux de voir quelle tournure prendrait la saga antisémite, tellement que les Agathois devaient se sentir observés de trop près. Renaud se retrouva tout à fait à l’arrière du temple, partageant un banc avec deux inconnus.
    Peut-être le désir formulé un peu plus tôt se réaliserait-il bientôt: une nouvelle fois M gr Bazinet, malade, se révélait incapable de dire la messe. L’abbé Charland dut officier, alors que le prélat domestique trônait dans le grand fauteuil réservé à l’évêque du diocèse de Mont-Laurier, quand celui-ci effectuait sa visite pastorale.
    Le grand homme n’allait pourtant pas laisser toutes les

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