L'Eté de 1939 avant l'orage
personnes venues lâécouter rentrer bredouilles. Au moment du sermon, lâecclésiastique dénicha un micro dans les plis de sa soutane pour sâadresser à ses ouailles. Une demi-douzaine de haut-parleurs distribués dans lâenceinte diffusaient sa voix de façon très efficace: personne ne perdait un mot.
Pour faire le bilan de son action, ou plutôt pour être certain que les journalistes en rendent bien compte â il prit le soin de leur intimer dès le début du sermon de «ne jamais publier des choses qui nâexistent pas, rapporter des paroles qui ne sont pas les nôtres» â, lâhomme de Dieu passa en revue les motifs religieux et politiques qui lâanimaient. Tout dâabord, il convenait dâétaler ses raisons:
â Jâai entrepris la présente campagne pour la gloire de Dieu et de son Ãglise et pour lâintérêt de notre paroisse. Je lâai entreprise pour le développement de notre vie morale, sociale et économique.
Puis il entendit se coiffer lui-même de la couronne du martyr:
â Je remercie les personnes qui prient la Providence de me rendre la santé. Tout ce que je fais dans cette lutte nâest nullement inspiré par la haine. Il ne se trouve pas de place pour la haine dans un cÅur sacerdotal.
«Le vieux salaud, songea Renaud. Le voilà qui sâélève au-dessus du commun des mortels, se drape dans sa soutane et nous assène sa grandeur dââme.»
â Des Juifs ont dit que jâétais cruel, que jâétais haineux et que jâétais méchant. Je ne pouvais mâattendre à être mieux traité que ne le fut le Christ.
Cette fois, le prélat reprenait mine de rien la vieille accusation de déicide. Ceux qui avaient tué le Sauveur se permettaient de lâaccuser de cruauté! Après sâêtre donné comme une incarnation divine, celui qui portait si bien le prénom de Jean-Baptiste â tout comme son vicaire, dâailleurs â, se présentait comme celle de la race.
â Nous sommes chez nous. Nous voulons demeurer chez nous et rester maîtres chez nous. Nous devons garder jalousement le patrimoine de nos ancêtres. Nous ne pouvons laisser partir une partie de lâhéritage. Nous ne pouvons laisser une partie de lâhéritage quâils nous ont légué.
Pendant quelques minutes, M gr Bazinet continua encore, alors que des scribes prenaient soigneusement en note ses paroles. Renaud Daigle se cramponnait au bras du banc où il prenait place pour résister de toutes ses forces à lâenvie de se lever pour crier «Sale raciste hypocrite». Le prélat termina en demandant à lâassistance de se rendre dans le cimetière derrière lâéglise, la «ville des morts», afin de lancer un appel aux ancêtres, de prendre conseil auprès dâeux. Irait-il jusquâà évoquer les héros du Long-Sault faisant un rempart de leurs corps contre les hordes barbares? M gr Bazinet se retint.
Le retour de vacances du délégué du Procureur général à Montréal se révéla infernal pour Georges Farah-Lajoie, mais sa situation personnelle lui interdisait totalement de refuser du travail: tant pis pour la petite enquête de Renaud Daigle.
Le magistrat, sur les plages dâOld Orchard, sâétait absorbé dans les pages des journaux à sensation américains. Une sombre histoire de fraude à lâencontre de compagnies dâassurance-vie, qui avait fait trente-quatre victimes, avait particulièrement impressionné le pauvre homme. Résultat: une douzaine de décès tout à fait naturels faisaient lâobjet dâun complément dâenquête. Lâex-policier ne jouissait plus dâune minute à lui.
Pour la troisième fois, à la fin de la matinée du dimanche 6 août, tout de suite après le retour de la voisine dâArden Davidowicz de la messe, le détective se tenait dans le petit salon de celle-ci, rue Davaar, avec lâespoir que ce serait sa dernière visite. Sur la table basse qui se trouvait au milieu de la pièce, il disposa quatre photographies grand format de Myriam Davidowicz. Les deux premières montraient la jeune femme des pieds à la tête.
â Voilà pourquoi vous me demandiez si la mystérieuse visiteuse était enceinte. Cette personne
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