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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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par Élise Trudel. Depuis qu’ils s’étaient expliqués à propos de leurs sentiments respectifs dans un appartement de la Grande Allée, et à nouveau sur la galerie d’une maison bourgeoise de Québec, en 1926, à chacune de leur rencontre tous deux gardaient un air empesé.
    Pendant un moment, ils hésitèrent entre s’embrasser et se serrer la main. La seconde option prévalut finalement.
    â€” Bonjour, Élise, j’espère que vous vous portez bien.
    â€” Très bien.
    Pourtant, son attitude trahissait le plus grand malaise.
    Renaud n’eut pas le loisir de s’enquérir plus à fond de ses états d’âme, car elle enchaîna tout de suite:
    â€” Monsieur Lapointe vous attend. Il a demandé qu’on amène un repas des cuisines du Parlement. Comme cela, vous pourrez vous entretenir dans la plus totale discrétion.
    La femme se leva pour aller ouvrir la porte donnant accès au bureau du ministre. Elle demeurait toujours mince et élégante. À quarante ans, elle restait aussi séduisante. Pourtant, son visage offrait une mine sévère, les plis au coin de sa bouche et ses yeux ne participaient pas à son sourire.
    Â«Vraiment, j’ai eu plus de plaisir avec Virginie que je n’en aurais eu avec elle», pensa-t-il en passant dans la pièce attenante.
    â€” Monsieur Daigle, déclara l’homme à la forte carrure en se levant de derrière son bureau pour venir à sa rencontre, je suis très heureux de vous revoir.
    â€” Moi aussi. Chaque fois, cela me rappelle les élections de 1926, alors qu’Élise profitait du porte-à-porte que nous accomplissions ensemble pour s’occuper de mon éducation politique.
    â€” Vous ne deviez pas être un parfait néophyte, si j’en juge par la suite des choses. Vous demeurez un collaborateur très utile pour les questions de droit constitutionnel.
    Lapointe présentait des traits aussi fatigués que ceux de sa secrétaire. La vie publique, dans ces temps de tensions internationales, ne devait pas lui laisser beaucoup de répit. Après une énergique poignée de main, son hôte lui désigna l’une des chaises placées près d’une table ronde. Une nappe, deux couverts de porcelaine, une bouteille de vin: ils n’auraient pas obtenu mieux à la salle à manger de l’édifice.
    â€” Mangeons tout de suite, avant que ce ne soit froid.
    Sous un couvercle de métal, Renaud trouva une pièce de viande tout à fait appétissante. Il s’occupa de remplir les deux verres. Pendant quelques minutes, les deux hommes évoquèrent des souvenirs communs. Puis le ministre décida d’en venir aux choses sérieuses:
    â€” Je suppose que Davidowicz ne nous a pas ménagé ce petit entretien pour que nous parlions du bon vieux temps.
    L’avocat prit la peine de poser sa fourchette et de s’essuyer la bouche avec sa serviette avant de commencer. Impossible d’offrir un bon plaidoyer tout en mastiquant.
    â€” Le Saint-Louis . Il veut que je vous entretienne de ses passagers.
    â€” Je m’en doutais. Les malheureux. Je ne peux cependant rien pour eux. Nos frontières sont fermées à l’immigration.
    â€” Ils sont moins de mille. Le Canada ne manque pas de place.
    Lapointe secoua la tête, l’air tout à fait désolé, puis enchaîna:
    â€” Mais la crise sévit toujours. Notre gouvernement fera face à un déficit de cinquante-cinq millions de dollars cette année. Toutes les provinces, toutes les municipalités du pays sont acculées à la faillite. Puis ce navire serait suivi de combien encore… Des dizaines, sans doute. De moins de mille, nous en serions à cent mille dans un an!
    â€” Tout le monde sait que les Juifs vivent rarement de la charité publique. Au contraire, ces gens créent la richesse. Je n’ai pas accès à ce genre de statistiques, mais je parierais qu’on les retrouve moins souvent que les autres au crochet des secours directs…
    Le ministre l’interrompit pour en convenir:
    â€” Vous avez tout à fait raison. Ce seul motif suffit à leur valoir la haine de nos compatriotes…
    â€” De plus, on les observe rarement devant les tribunaux.
    Ces gens-là respectent les lois. Le Canada n’aurait que du profit à tirer d’un peu de

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