L'Eté de 1939 avant l'orage
ferait sans doute fuir le gibier. Comme lui ne révélerait rien, les confidences ne pourraient venir que de son employeur ou de la jeune femme dont il craignait dâavoir accéléré un peu lâaccouchement.
Dans les pages du Devoir , le rédacteur Omer Héroux multipliait les invitations à la prudence à lâintention des politiciens fédéraux. Pour lui et ses collègues du journal nationaliste, la meilleure politique face au conflit était lâabstention, à la manière des Ãtats-Unis. Autrement, ce serait risquer de précipiter les francophones contre les anglophones, comme pendant la Grande Guerre. Même avec ses nouveaux yeux de censeur, Renaud ne trouvait rien à dire contre cette analyse: le journaliste avait sans doute raison. Le périodique lui apprit aussi la tenue dâune réunion le soir même au Monument national, pour protester contre lâentrée en guerre du Canada.
Une fois encore, lâavocat gara sa Packard le long du trottoir, dans la rue Saint-Laurent, en diagonale de la salle de spectacle. Après avoir versé les quelques cents que coûtait lâadmission, il se dirigea vers le balcon. Cette fois aussi, lâauditoire se composait de notables de la communauté de langue française, assez âgés pour se souvenir de la crise de la conscription de 1917, et de jeunes gens, étudiants ou fraîchement diplômés. Ceux-là trahissaient la plus grande fébrilité: si jamais on en arrivait à lâenrôlement obligatoire, à moins de souffrir dâune quelconque tare physique â les pieds plats seraient perçus comme une bénédiction pendant les années à venir â, ils en seraient les premières victimes.
Sur la scène, André Laurendeau joua encore une fois au maître de cérémonie, affichant sa nervosité habituelle.
â Depuis quelques jours, commença-t-il, lâEurope est plongée dans lâhorreur de la guerre. Les hordes nazies sont sur le point de compléter la conquête de la Pologne. Une douzaine de navires marchands ont été coulés par les sous-marins, sans compter lâattaque contre lâ Athena , un paquebot de la Cunard, sans doute victime dâune torpille.
Les journaux ne parlaient que de ce navire chargé de civils, attaqué lâchement, cela dâautant plus que des Canadiennes françaises se trouvaient à bord. Heureusement, aux dernières nouvelles, elles ne figuraient pas parmi la centaine de victimes.
â Le gouvernement canadien, continua lâorateur, semble déterminé à nous précipiter dans cette guerre. Dès le premier jour, le premier ministre King mettait toutes nos forces à la disposition du Royaume-Uni.
Le politicien avait cependant ajouté dans ses déclarations quâil ne demandait pas aux Canadiens de sâenrôler massivement dans lâarmée, compléta Renaud mentalement. En fait, le nombre de volontaires dépassait largement les besoins, la majorité de ceux-ci se voyaient rejetés. Le premier ministre voulait mobiliser surtout les effectifs industriels et agricoles.
Les nouvelles du front semblaient étrangement positives. La veille, La Patrie portait en lettres énormes en première page «Les Français ont pénétré en Allemagne», et le matin même «Une victoire des Anglais sur lâarmée aérienne allemande». Cela cadrait mal avec les pages intérieures, qui expliquaient combien la victoire paraissait écrasante contre la Pologne. Hitler faisait le gros dos devant les attaques menées contre lui à lâouest, le temps de régler la situation à lâest.
â Comme si nous étions toujours une colonie, nous nous mettons à la disposition de nos maîtres. Pourquoi ne pas nous comporter comme un territoire souverain et décider de nous abstenir de participer à une conflagration qui ne nous regarde pas? Roosevelt a réaffirmé la neutralité de son pays pas plus tard que ce matin!
Franklin Delanoe Roosevelt affrontait une formidable hostilité de lâopinion publique américaine à lâégard de la participation à la guerre, même si personnellement il penchait vers un soutien aux contrées démocratiques européennes qui faisaient face aux dictatures. Aussi prendrait-il toutes les décisions possibles pour aider les alliés, sauf
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