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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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ferait sans doute fuir le gibier. Comme lui ne révélerait rien, les confidences ne pourraient venir que de son employeur ou de la jeune femme dont il craignait d’avoir accéléré un peu l’accouchement.

    Dans les pages du Devoir , le rédacteur Omer Héroux multipliait les invitations à la prudence à l’intention des politiciens fédéraux. Pour lui et ses collègues du journal nationaliste, la meilleure politique face au conflit était l’abstention, à la manière des États-Unis. Autrement, ce serait risquer de précipiter les francophones contre les anglophones, comme pendant la Grande Guerre. Même avec ses nouveaux yeux de censeur, Renaud ne trouvait rien à dire contre cette analyse: le journaliste avait sans doute raison. Le périodique lui apprit aussi la tenue d’une réunion le soir même au Monument national, pour protester contre l’entrée en guerre du Canada.
    Une fois encore, l’avocat gara sa Packard le long du trottoir, dans la rue Saint-Laurent, en diagonale de la salle de spectacle. Après avoir versé les quelques cents que coûtait l’admission, il se dirigea vers le balcon. Cette fois aussi, l’auditoire se composait de notables de la communauté de langue française, assez âgés pour se souvenir de la crise de la conscription de 1917, et de jeunes gens, étudiants ou fraîchement diplômés. Ceux-là trahissaient la plus grande fébrilité: si jamais on en arrivait à l’enrôlement obligatoire, à moins de souffrir d’une quelconque tare physique – les pieds plats seraient perçus comme une bénédiction pendant les années à venir –, ils en seraient les premières victimes.
    Sur la scène, André Laurendeau joua encore une fois au maître de cérémonie, affichant sa nervosité habituelle.
    â€” Depuis quelques jours, commença-t-il, l’Europe est plongée dans l’horreur de la guerre. Les hordes nazies sont sur le point de compléter la conquête de la Pologne. Une douzaine de navires marchands ont été coulés par les sous-marins, sans compter l’attaque contre l’ Athena , un paquebot de la Cunard, sans doute victime d’une torpille.
    Les journaux ne parlaient que de ce navire chargé de civils, attaqué lâchement, cela d’autant plus que des Canadiennes françaises se trouvaient à bord. Heureusement, aux dernières nouvelles, elles ne figuraient pas parmi la centaine de victimes.
    â€” Le gouvernement canadien, continua l’orateur, semble déterminé à nous précipiter dans cette guerre. Dès le premier jour, le premier ministre King mettait toutes nos forces à la disposition du Royaume-Uni.
    Le politicien avait cependant ajouté dans ses déclarations qu’il ne demandait pas aux Canadiens de s’enrôler massivement dans l’armée, compléta Renaud mentalement. En fait, le nombre de volontaires dépassait largement les besoins, la majorité de ceux-ci se voyaient rejetés. Le premier ministre voulait mobiliser surtout les effectifs industriels et agricoles.
    Les nouvelles du front semblaient étrangement positives. La veille, La Patrie portait en lettres énormes en première page «Les Français ont pénétré en Allemagne», et le matin même «Une victoire des Anglais sur l’armée aérienne allemande». Cela cadrait mal avec les pages intérieures, qui expliquaient combien la victoire paraissait écrasante contre la Pologne. Hitler faisait le gros dos devant les attaques menées contre lui à l’ouest, le temps de régler la situation à l’est.
    â€” Comme si nous étions toujours une colonie, nous nous mettons à la disposition de nos maîtres. Pourquoi ne pas nous comporter comme un territoire souverain et décider de nous abstenir de participer à une conflagration qui ne nous regarde pas? Roosevelt a réaffirmé la neutralité de son pays pas plus tard que ce matin!
    Franklin Delanoe Roosevelt affrontait une formidable hostilité de l’opinion publique américaine à l’égard de la participation à la guerre, même si personnellement il penchait vers un soutien aux contrées démocratiques européennes qui faisaient face aux dictatures. Aussi prendrait-il toutes les décisions possibles pour aider les alliés, sauf

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