L'Eté de 1939 avant l'orage
en adoucissant le nom du service pour les oreilles filiales â, Nadja était allée se coucher un peu moins fébrile. Il ne lui restait plus quâà sâinquiéter de son intégration dans une immense école secondaire, au sein dâune classe de trente-cinq gamines dont la plupart auraient leurs premières règles avant la fin de lâannée scolaire. Cela aussi représentait tout un défi.
Walter Thompson affichait la fausse jovialité dâun responsable de la publicité au sein dâune grande entreprise. Il entendait vendre la censure comme, une semaine plus tôt, il vendait des forfaits de vacances dans les Rocheuses. Dès le matin du 6 septembre, Renaud Daigle se trouva plongé dans la rédaction des règlements qui seraient destinés aux stations de radio. à Montréal, il sâaffairait derrière un bureau installé dans une chambre de lâhôtel Windsor, chambre qui avait été débarrassée de son lit et de sa commode, chanceux de ne partager la pièce quâavec une secrétaire.
Un peu avant midi, un Georges Farah-Lajoie essoufflé passa la tête dans lâembrasure de la porte en disant:
â Je vous découvre enfin. Je me suis présenté à votre domicile, à lâuniversité, puis en désespoir de cause au Théâtre Outremont.
â Puisque vous mâavez trouvé, vous connaissez encore les ficelles du métier de détective. Quelles sont les nouvelles de la capitale provinciale?
â La ville demeure toujours petite, charmante, et surexcitée à cause du déclenchement prochain des élections. Je peux vous dire un mot?
Lâenquêteur avait jeté un regard du côté de la jeune femme qui, pour ne rien perdre de la conversation, avait ralenti considérablement son rythme au clavier de la machine à écrire.
â Bien sûr. Mieux vaut descendre à la salle à manger, il est presque lâheure⦠Lâhomme ajouta en se levant: «à cet après-midi, mademoiselle.»
La secrétaire lui rendit son salut en dissimulant sa frustration. Depuis le matin, elle mettait toutes ses énergies à en connaître le plus possible sur ce grand personnage à lâair emprunté qui lui était tombé du ciel en guise de patron, pour aller de déception en déception. Marié, père de famille, il ne buvait jamais de café, seulement du thé. Avec tous les jeunes hommes qui risquaient de sâembarquer pour lâEurope, les prochaines années promettaient dâêtre longues pour les femmes célibataires, sâil ne restait plus que des sybarites pareils à Montréal.
Quelques minutes plus tard, de part et dâautre dâune table située dans un coin tranquille de la salle à manger, Farah-Lajoie rendait compte des dernières péripéties de son enquête.
Quand il se tut, Renaud fit remarquer:
â Son alibi tient toujours.
â Celui de Davidowicz, oui. Mais pas celui dâÃlise Trudel. De plus, on peut dire que celle-ci profite du crime.
Les deux propriétés, cela doit représenter un sacré magot.
Lâavocat réprima la protestation qui lui venait à lâesprit. à la place, il demanda dâune voix quâil voulait neutre:
â Comment les choses se sont passées, dâaprès vous?
â Les deux ont conspiré: ce meurtre est un travail dâéquipe. Ãlise Trudel a effectué des réservations à son nom, Davidowicz est allé au restaurant avec sa sÅur. Pendant ce temps, elle se présentait rue Davaar une perruque sur la tête, un imperméable et une robe de mauvaise qualité sur le dos.
Ou elle portait un coussin sur le ventre pour se grossir, ou les vêtements tombaient particulièrement mal. La voisine ne sâengage pas plus loin quâadmettre que ce pouvait être elle.
â Ce qui veut dire que cela pouvait être quelquâun dâautre! Pour le moment, vous nâavez ni témoin ni preuve matérielle, protesta lâavocat, nây tenant plus.
Lâenquêteur posa sa fourchette pour prononcer tout doucement:
â Jâai une femme qui nous a menti sur son occupation le soir du 21 mai. Comme par hasard, la même personne tire tous les avantages du meurtre.
â Pas tous. Son amant a disparu en Pologne.
Renaud épuisait ses arguments, mais son ton
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