L'Eté de 1939 avant l'orage
certain temps pour atteindre lâentrée. à la vue de Farah-Lajoie, le sang se retira dâun coup de son visage.
â Madame Laliberté, je mâexcuse de vous déranger encore une fois. Je vous présente mon collègue, Renaud Daigle, qui enquête avec moi sur la mort de Ruth Davidowicz.
Nous aimerions vous poser encore quelques questions.
â ⦠Je ne sais rien de plus que la dernière fois.
Lâavocat se sentait terriblement mal à lâaise de se trouver là , conscient que cette jeune épouse, enceinte jusquâaux yeux, pouvait sâeffondrer devant lui.
â Madame Laliberté, je sais que ce nâest pas tout à fait vrai. Laissez-nous entrer une minute. Vous ne risquez absolument rien, je vous lâassure.
Hébétée, elle se tassa de côté pour leur permettre de passer. Lâex-policier se dirigea tout droit vers le petit salon, invita la jeune femme à prendre place sur le meilleur fauteuil, sâassit près dâelle et commença, de la sollicitude dans la voix:
â Je vais vous dire ce que je sais. Si je me trompe, reprenez-moi. Si jâai raison, contentez-vous de garder le silence.
Le soir du 21 mai, vous vous êtes rendue au restaurant De Gascogne avec Arden. Sans doute est-il venu vous chercher ici. Le serveur a reconnu votre photo, il sâest souvenu de vous parce que, enceinte, vous avez refusé de prendre du vin.
Myriam Laliberté resta coite, les yeux clos, des larmes sur les joues.
â La table avait été réservée par Ãlise Trudel, la maîtresse de votre frère. Cela devait servir à les innocenter tous les deux. Le lendemain, ou le surlendemain, quand les journaux ont donné lâheure de la mort, vous avez compris. Mais comme il sâagissait de votre frère, vous nâavez pas osé me le dire, lors de ma première visite.
â Ce nâest pas lui. Elle lâa tuée. Ce soir-là , il était avec moi. Le désir de disculper son frère lâamenait à charger sa compagne. Toutefois, si la femme avait pressé la détente, à moins dâune confession, il serait impossible de savoir qui avait eu lâidée en premier.
â Que mâarrivera-t-il? Le bébé⦠commença-t-elle.
â Il ne va rien vous arriver. Vous avez été utilisée. Les jours suivants, aucun policier ne sâest occupé de vous interroger. Vous nâêtes complice de rien. Ne vous inquiétez pas.
â Mais moi, jâaurais pu avertir la police. Puis, la première fois, je vous ai menti.
â La police aurait dû vous rencontrer. Elle ne lâa pas fait.
Vous connaissez quelquâun qui pourrait venir vous tenir compagnie, cet après-midi?
La mine désespérée de la future parturiente préoccupait les deux hommes.
â â¦
â Je ne vous laisserai pas seule, ce ne serait pas prudent dans votre état. Je peux téléphoner à une parente, une voisine, une amieâ¦
â Ma belle-sÅurâ¦
La jeune femme donna le numéro de téléphone, Farah-Lajoie se déplaça dans la cuisine afin de lâappeler. Devant une femme enceinte devenue trop pâle, un peu haletante, les yeux résolument clos, Renaud Daigle acceptait lentement lâévidence: lâenquêteur avait raison.
â Elle arrivera dans quelques minutes, déclara doucement Farah-Lajoie. Voulez-vous que je vous aide à vous rendre à votre chambre?
â ⦠Non, je lâattendrai ici.
â Moi et mon collègue allons demeurer dans la cuisine jusquâà son arrivée.
Lâavocat se leva, heureux dâéchapper au désarroi de cette dame. Cinq minutes plus tard, après avoir ouvert à une visiteuse inquiète, les deux hommes se hâtèrent de regagner la voiture. Au moment où lâenquêteur démarra, Renaud déclara:
â Je compte me rendre à Ottawa samedi prochain. Le vote sur la participation à la guerre aura lieu ce jour-là . Je tiens à en être témoin, cette guerre sera pire que la dernière.
Désirez-vous mâaccompagner?
â Entendu. Jâen profiterai pour essayer de voir votre amie. Jâespère seulement que notre intervention dâaujourdâhui ne lâenverra pas en Pologne, ou ailleurs, elle aussi.
Ce que lâenquêteur voulait dire, câétait que la moindre indiscrétion
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