L'Eté de 1939 avant l'orage
à seize ou dix-sept mille exemplaires. Ses petits textes antisémites ne touchent pas lâensemble de la population. Cependant, il entre dans tous les presbytères, dans tous les collèges classiques du Québec.
Toutes les élites pensantes de la province partagent les idées racistes de lâéditeur de cette mauvaise feuille. Rappelez-vous le bruit autour des Sudètes, lâautomne dernier.
Lâavocat laissa échapper un soupir de dépit. Les mêmes arguments lui avaient servi la veille à réduire les attentes de Davidowicz. Voilà quâils lui revenaient au visage de la bouche même de celui quâil devait convaincre.
â Je viens de vous parler des nationalistes, continua le politicien, heureux dâavoir pris le dessus de la discussion.
Vous savez comme moi que la députation libérale compte aussi avec des antisémites notoires. Regardez ceci, mais ne dites nulle part que je vous ai montré ces lettres.
Lâhomme lui tendit la première feuille de la liasse posée devant lui, une missive signée par le député libéral Wilfrid Lavoie. Dans des termes limpides, cet individu expliquait que lâadmission dâun seul Juif au Canada entraînerait des émeutes racistes dans les rues du Québec. Entre les lignes, on pouvait deviner quâil ne répugnerait pas à se mettre à la tête des émeutiers.
â Ce collègue nâest pas le seul. Vous connaissez aussi les Leclerc, Brunelle, Jean. Le plus entreprenant à cet égard, Lavoie représente la région à lâest de Québec.
Lapointe lui présenta une seconde feuille, une lettre dâun député de la capitale provinciale. Celui-ci annonçait le dépôt dâune pétition signée par cent dix-sept mille personnes demandant de nâaccueillir aucun Israélite.
â Tous ces noms venaient de plus de soixante-dix mille ménages, expliqua le ministre devant le regard interrogateur de son vis-à -vis. Cela veut dire une large majorité des familles de la ville et des environs. Vous vous souvenez, je demeure le député de Québec-Est, ce sont mes électeurs! Regardez ces lettres.
Toute la pile changea de côté de table. Pendant trois ou quatre minutes, Renaud tourna des pages, cherchant des yeux les signatures. Au passage, il reconnut des prêtres, des professionnels, certains de ses collègues de lâUniversité de Montréal, de lâÃcole des hautes études commerciales, de Polytechnique.
â Vous savez sûrement que les conseils municipaux de plusieurs villes adoptent des propositions pour demander la fermeture de nos frontières à tout immigré juif, mais aussi pour les empêcher de sâétablir chez eux. Comme à Beauport, par exemple, et même à Victoriaville. Vous imaginez? Pouvez-vous me dire en quoi quelques Juifs de plus empêcheraient les habitants de Victoriaville de dormir?
Lapointe se donnait la peine dâexpliquer tout cela afin de prendre ses distances avec ces racistes. En position de décider du sort des réfugiés, cet homme voulait lui montrer que seule la raison dâÃtat lâamenait à sâen tenir à sa résolution. Sachant quâil avait perdu, Renaud argua encore:
â Ce ne serait pas la première fois que les Canadiens anglais négligent les sentiments de la population québécoise au moment de prendre une décision.
â Sur ce sujet, les risques sont trop élevés. Nous plongerions dans le chaos. King nâosera pas.
La menace dâune guerre civile au Québec paraissait vraiment exagérée à lâavocat. Il murmura:
â Je me demande si notre premier ministre ne dissimule pas son propre racisme derrière celui, plus bruyant jâen conviens, des Canadiens français.
â Peut-être avez-vous raison. Qui sait? Il nous faudrait mettre la main sur le journal intime du premier ministre. Ni vous ni moi ne vivrons assez longtemps pour apprendre la vérité. Cela en admettant que notre ineffable dirigeant demeure totalement honnête en couchant ses pensées les plus secrètes sur le papier. Peut-être écrit-il pour la postéritéâ¦
Allons, ne faites pas cette tête, prenez encore un peu de vin. Le ministre remplit les deux verres. Pendant un instant, la conversation porta sur les dernières frasques des excités de la
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