L'Eté de 1939 avant l'orage
rédaction du périodique La Nation , qui leur avait valu une poursuite en diffamation. Alors que le moment de partir approchait, Renaud demanda, curieux:
â Comment amènerez-vous les francophones à accepter la participation canadienne à la guerre?
â Je comprends que rien de ce que je vous dis ne sortira dâici.
Lâavocat fit un signe approbateur.
â Nous allons tenter de forcer Maurice Duplessis à déclencher des élections. Le renard ne trouvera pas un sou à emprunter sur les marchés, au Canada ou aux Ãtats-Unis, au moment où des dettes viendront bientôt à échéance. Il nâaura pas le choix. Tous les libéraux promettront alors que jamais ils ne voteront une conscription pour le service en Europe, ceux du Québec comme ceux du fédéral. Et nous rappellerons que Duplessis a fait son apprentissage politique chez les conservateurs, les responsables de la conscription de 1917.
Ce serait bien le diable si nous nâarrivions pas à le faire tomber. Nous répéterons la même promesse lors des élections fédérales de lâan prochain.
Le visiteur vida son verre, fit signe à son hôte quâil nâen désirait plus et demanda encore:
â Et cette promesse sera respectée?
â Je nâéprouve aucune envie de défendre la conscription.
King consentira tous les efforts pour ne jamais en venir là .
Bien sûr, si la guerre se révélait très longue, très meurtrièreâ¦
â Et si les Canadiens anglais réclamaient que nous partagions avec eux le prix du sang, comme ils lâont fait en 1917â¦
â ⦠Il sera peut-être forcé de leur céder. Mais cela sâeffectuera avec une extrême prudence. Vous le connaissez.
Vieux garçon dâorigine écossaise, King avait multiplié les efforts, pendant toute sa carrière, pour ne pas heurter les susceptibilités canadiennes-françaises. Il continuerait à cultiver la prudence.
Un instant plus tard, Renaud sâexcusait dâavoir volé autant de temps au politicien à un moment où siégeait le Parlement, puis quittait la pièce bredouille. Dans les minutes suivantes, il se dirigea du côté des bureaux des membres du Sénat.
Comment procéder pour obtenir dâune dame membre de ce cénacle quâelle accepte de souper avec lui?
Finalement, cela avait été très facile. Cairine Wilson avait accepté de partager un repas à lâhôtel Laurier le soir même.
Toujours économe quand il voyageait seul, Renaud alla réserver une chambre à lâhôtel Lord Elgin, un petit établissement en diagonale avec lâUniversité dâOttawa, de lâautre côté du canal Rideau. Un coup de fil à Montréal lui permit de remettre au lendemain ses retrouvailles avec Virginie.
Vers vingt heures, lâavocat se trouvait dans la grande salle à manger de lâhôtel Laurier en compagnie dâune femme affable, la mi-cinquantaine. Dans les années 1920, après avoir reçu le droit de vote dans toutes les provinces sauf au Québec, les féministes de langue anglaise sâétaient mis en tête de voir lâune dâelles accéder au Sénat. Comme la Constitution précisait que seules des «personnes» pouvaient siéger à la Chambre haute, la Cour suprême décréta que le terme ne devait sâappliquer quâaux hommes. Heureusement, un appel du Conseil privé, à Londres, permit dâobtenir quâen ce qui avait trait à la loi constitutionnelle, les femmes soient considérées comme des personnes. Peu après, William Lyon Mackenzie King nommait Cairine Wilson, lâépouse dâun député, membre du Sénat. En 1939, elle demeurait la seule à en faire partie.
Cette personne consacrait les immenses loisirs que lui procurait son rôle de sénatrice à diverses associations humanitaires, de lâArmée du Salut à la Fédération des femmes libérales du Canada. Elle venait tout juste dâabandonner la direction de lâAssociation de la Société des Nations, un organisme voué à faire connaître au Canada la mission de cet ancêtre de lâOrganisation des Nations Unies, pour assumer celle du Comité national pour les réfugiés. Depuis lâautomne dernier, tous leurs efforts visaient Ã
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