L'Eté de 1939 avant l'orage
Lâavocat accompagna ensuite sa compagne jusquâà la voiture chargée de la conduire chez elle. Plutôt que de rentrer tout de suite dans sa petite chambre, il décida de profiter dâun bon porto en parcourant la collection impressionnante de journaux mise à la disposition de la clientèle du Laurier.Â
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Renaud fit si bien pour sâoccuper quâil ne réintégra lâhôtel Elgin quâun peu après onze heures. Au moment de prendre sa clé au comptoir, lâemployé lui remit deux messages. Le premier faisait état dâun téléphone de Virginie Daigle en début de soirée, demandant de lâappeler tout de suite. Lâautre venait dâÃlise Trudel et portait la mention «Très urgent».
Inquiet, lâavocat regagna sa chambre pour décrocher lâappareil et prier la standardiste dâêtre mis en communication avec Montréal. Un instant après, au premier «Allô» ensommeillé de Virginie, il sâenquit:
â Que se passe-t-il?
â ⦠Quoi?
â Tu as demandé que je te rappelleâ¦
Son épouse prit un moment avant de continuer, cette fois tout à fait éveillée:
â Renaud? Je ne croyais pas que ce serait si tard.
â Pourquoi as-tu appelé?
â Te raconter un fait divers. Cet après-midi, Arden Davidowicz a été arrêté. Sa femme a été tuée.
Elle se tut, pour le laisser assimiler la nouvelle.
â Davidowicz? Sa femme?
â Assassinée dans son domicile, à quelques pas dâici.
Nadja est couchée à côté de moi. Elle a insisté pour que je cherche ton revolver et le mette sur la table de nuitâ¦
Cela expliquait pourquoi Virginie murmurait, au point de devenir presque inaudible. Mieux valait ne pas réveiller la fillette, qui voudrait lui raconter la chose elle-même jusquâau milieu de la nuit. Heureusement, son sommeil nâavait rien de léger.
â Que sâest-il passé?
â Personne ne le sait trop. Les journaux en diront plus demain. Quand je suis allée faire des courses, en sortant du cinéma, tout le monde ne parlait que de cela. Dâaprès ce que jâai compris, Davidowicz a trouvé sa femme morte ce matin, en revenant chez luiâ¦
â Ce type rentre à la maison le matin?
â La rumeur publique, depuis cet après-midi, lui prête une vie remplie de turpitudes.
Bien sûr, lâimagination des bourgeois devait se déchaîner.
Un meurtre dans un quartier cossu comme Outremont représentait une aubaine pour les commères. Les gens devaient croire sâêtre éveillés aux Ãtats-Unis, où lâassassinat semblait en voie de devenir un passe-temps populaire.
â Tu as dit quâil a été arrêté?
â Cet après-midi, à son domicile. Je nâen sais pas plus.
Visiblement, la jeune femme aurait voulu partager son inquiétude plus tôt dans la soirée. Maintenant, elle paraissait plutôt encline à terminer sa nuit. Après un petit moment, Renaud raccrocha, pour reprendre tout de suite le combiné et demander cette fois à la standardiste de lâhôtel dâêtre mis en communication avec un numéro dâOttawa. à la première sonnerie, Ãlise Trudel décrocha et dit dâentrée de jeu:
â Renaud, je vous en prie, pouvez-vous venir me voir immédiatement?
Le ton paraissait tout à fait désespéré.
â Que se passe-t-il?
â Davidowicz. Pouvez-vous accourir sans délai?
Bien sûr, cette histoire allait porter un dur coup au Parti libéral. Renaud ne se souvenait pas dâune situation pareille survenue dans le passé: lâépouse dâun député assassinée, son conjoint arrêté. Comme Ãlise vouait sa vie à cette organisation politique, cela devait la mettre dans tous ses états.
â Il sera bientôt minuit.
â Je sais lâheure quâil est, sâimpatienta la femme à lâautre bout du fil. Pouvez-vous venir tout de suite? Je vous en prie!
â ⦠Bien sûr. Jâarrive.
Surtout, mieux valait mettre fin à cette conversation. àcette heure de la nuit, la standardiste pouvait tout aussi bien les écouter. Autant ne pas lui donner le plaisir dâentendre quelques histoires juteuses sur un membre du Parti libéral.
Ãlise Trudel lui avait
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