L'Eté de 1939 avant l'orage
donné son adresse. Elle habitait le quartier Côte-de-Sable, une section largement francophone dâOttawa. Plutôt que dâattendre un taxi à cette heure de la nuit, Renaud décida de marcher. Un pont tout près de lâhôtel Elgin permettait de passer le canal Rideau. à sa gauche sâélevait la masse sombre de lâédifice de lâUniversité dâOttawa. Il bifurqua dans la rue King Edward, arriva bientôt devant un bel immeuble de briques rouges. Les fenêtres dâun seul appartement demeuraient éclairées. La jeune femme lâattendait dehors devant la porte. Après un «Merci» murmuré, elle le mena au second étage.
â Jâai fait du thé.
Le logement comptait une chambre, une minuscule cuisine, un séjour où se trouvaient une petite causeuse et un fauteuil.
â Asseyez-vous, jâarrive dans un instant.
Quand elle revint avec un plateau, ses mains tremblaient assez pour produire un léger bruit de vaisselle qui sâentre-choquait. Renaud se leva à demi du siège, fit le geste de lâaider, reprit sa place en constatant quâelle se tirerait très bien dâaffaire toute seule. Un moment plus tard, une tasse à la main, il commenta:
â Ce sera difficile pour le Parti libéral, mais avec les événements internationaux, tout le monde oubliera vite.
â Voulez-vous assurer sa défense?
â â¦
â Sa défense. Il a été arrêté, il sera accusé de meurtre.
Bien sûr, quand des histoires de ce genre survenaient, le premier suspect était le conjoint. à moins dâavoir un bon alibi, les soupçons se portaient sur lui. Lâarrestation du député nâavait rien de surprenant.
â Je ne fais pas de droit criminel, vous le savez bien.
â Vous en faites parfoisâ¦
Depuis son retour dans la province de Québec en 1925, Renaud Daigle avait accepté de défendre une demi-douzaine de personnes, pas tout à fait une tous les deux ans.
â Des accusés sans argent, dont personne ne voulait sâoccuper. Davidowicz a tout intérêt à se trouver un bon criminalisteâ¦
â Il a confiance en vous. Moi aussi.
â Je vous assure, je suis loin dâêtre le meilleur choix pour lui.
â ⦠Je vous le demande comme un service personnel.
Le ton de sa voix toucha Renaud. Elle avait eu le même treize ans plus tôt, au moment de lui quémander son amour, ce quâil avait repoussé. Pouvait-il encore lui dire non? Devant ses yeux rouges et son visage chiffonné, impossible.
â Ãcoutez, je veux bien parler avec luiâ¦
Pour lui conseiller de se dénicher au plus vite un défenseur compétent, pensa-t-il. Le député comprendrait certainement où se trouvait son intérêt.
â Pouvez-vous mâen raconter un peu plus?
â Je ne sais pas grand-chose. En rentrant chez lui, ce matin, il a découvert sa femme morte. Un coup de feu. Elle avait été⦠agressée.
Cela voulait-il dire «violée»? Un mari qui viole sa douce moitié et la tue, cela paraissait bien improbable. La loi ne reconnaissait même pas le concept de viol entre des époux.
Lâhomme avait le droit aux «avantages» du mariage et la conjointe, lâobligation dâaccepter. Seule une trop grande brutalité pouvait entraîner des poursuites contre le premier.
â Comment savez-vous tout cela?
â ⦠Après que lâambulance eut emmené sa femme, il mâa téléphoné.
Quelle curieuse tournure prenait cette histoire. Le député aurait dû contacter un avocat, ou Ernest Lapointe à titre de chef de la représentation politique du Québec. Sans doute son interlocutrice avait-elle répondu à lâappel destiné au ministre. Dâun geste de la tête, Renaud fit signe à Ãlise de continuer.
â Les policiers ne lâont pas arrêté tout de suite. Ils sont venus le chercher en après-midi. Arden a pu téléphoner à lâun de ses parents, qui a averti le cabinet du premier ministre de ce qui arrivait.
Lâavocat exprima sa surprise en levant les sourcils. Ãlise fit le geste de boire un peu de thé, reposa la tasse contre la soucoupe. Les yeux rivés sur le plancher, elle murmura:
â Ce nâest pas lui, lâassassin.
â Peut-être. Mais dans ces
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