L'Eté de 1939 avant l'orage
au moment du meurtre de son épouse, lâexplication qui venait spontanément à lâesprit était celle dâun cambriolage: des voleurs pris sur le fait ayant réduit au silence un témoin gênant. Les journaux du matin sâétaient révélés avares de commentaires sur cette affaire, se limitant à évoquer une dame assassinée dans son domicile dâOutremont et lâarrestation de son conjoint, député et médecin, à titre de témoin important. Tant de discrétion amenait Renaud à penser que le Parti libéral avait exercé quelques pressions sur les entreprises de presse.
â Je parierais un vol, proposa Renaud.
â Ãlise affirme que ce serait plutôt un coup des nazis.
Le visage de lâavocat exprima un complet scepticisme, tellement que son interlocuteur précisa:
â Croyez-moi, ce nâest pas aussi fantaisiste que vous paraissez lâimaginer. Davidowicz reçoit des lettres menaçantes. La même chose mâa été rapportée par dâautres députés juifs. Vous savez que les harangues des membres du Parti de lâUnité nationale sont parfois virulentes.
Il sâagissait du groupe politique dirigé par Adrien Arcand.
Les écrits et les paroles de ces fanatiques, calqués sur ceux de lâAllemagne nazie, prenaient volontiers une dimension effrayante.
â Mais ce ne sont que des discours, justement. Les chiens qui aboient ne mordent pas.
â Certains aboient et mordent. Dans tout ce lot de têtes brûlées, un seul assassin suffit pour en arriver là . Ãlise paraît être convaincue de cette hypothèse. Elle espère que si ses soupçons se révèlent fondés, il ne sera pas utile de communiquer ses turpitudes à la police.
Sur ces derniers mots, le ministre eut un sourire désolé, puis continua:
â Sans compter que Davidowicz y gagnerait lâauréole du martyr par association, ce qui lui vaudrait une longue carrière.
â Et sans compter également que le Parti libéral comptera dans ses rangs ce martyr, et que ses membres pourront ainsi mettre en évidence les relations passées entre Adrien Arcand et le Parti conservateur.
â Ou mieux encore, les liens présents entre ce triste personnage et la loyale opposition de Sa Majesté!
Cette fois, le sourire du politicien nâavait plus rien de désolé. Les rumeurs allaient bon train sur lâorigine de lâargent qui alimentait la caisse du Parti de lâUnité nationale. Certains clamaient que le Parti conservateur avait investi autant que 50 000 $ dans les caisses du petit groupe nazi. Celui-ci publiait un journal, Le Combat national : cela signifiait des ressources significatives. à lâhypothèse dâune aide conserva-trice, dâautres opposaient celle du Reich allemand. Découvrir que câétaient les deux se révélerait une véritable bénédiction pour les libéraux.
â Câest bon, je veux bien me rendre utile. Cependant, je dirai à Davidowicz de chercher un autre avocat au plus tôt.
â Ãlise aimerait vous montrer la correspondance du député. Pendant ce temps, je vais tenter de faire en sorte que le policier responsable de lâenquête collabore avec vous.
â Votre juridiction sâétend-elle jusquâà la police de Montréal?
â La police dâOutremont! Ce sera plus facile. Ces gens-là , des libéraux, préféreront ne pas me mettre de mauvaise humeur.
M. Fitch dénonce nos «fascistes»
Il nomme M. Adrien Arcand, M. Gabriel Lambert, la «Casa dâItalia», Mlle B. Vallée
Le Devoir , 27 avril 1939.
Le bureau dâArden Davidowicz se trouvait dans lâédifice de lâEst. La pièce, petite et modestement meublée, convenait à un député dâarrière-ban. Lâimmeuble demeurait à peu près désert, les députés présents au Parlement se trouvant à la Chambre des communes afin de participer aux débats. Ãlise, venue lui ouvrir, lui laissa la clé au moment de sâesquiver.
Gêné de se montrer là , Renaud ferma la porte avant de tout fouiller. Le premier tiroir du pupitre de chêne recelait les vestiges de la vie quotidienne du politicien, de la boîte de cartes professionnelles à la brosse à dents, en plus des enveloppes, du papier à lettre,
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