L'Eté de 1939 avant l'orage
il se mêlait à une seconde histoire qui ne lui apporterait rien de bon.
Un peu après neuf heures, quand il se présenta au bureau du ministre Lapointe, Renaud retrouva une Ãlise aux yeux rougis et cernés. Elle nâavait visiblement pas fermé lâÅil de la nuit et sa confession du matin ne faisait quâajouter à son épuisement.
â Il vous attend, murmura-t-elle en lui ouvrant la porte.
Le politicien se leva à demi de son siège pour serrer la main de son visiteur, lui désigna une chaise devant lui.
â Je ne croyais pas vous revoir si tôt. Non que ce soit désagréable, mais dans les circonstancesâ¦
â Quelle histoire! Pauvre Ãlise.
Davidowicz ne lui était pas suffisamment connu pour que son sort le préoccupe vraiment. Après une pause il demanda:
â Vous étiez au courant? Pour votre secrétaire, je veux dire.
â Sa liaison? Oui et non. Je me doutais bien quâelle avait quelquâun dans sa vie, car elle passait ses fins de semaine à Montréal, surtout quand le Parlement ne siégeait pas. Cela me donnait à penser quâil sâagissait dâun député. De là à deviner son identitéâ¦
Le politicien ne jugeait pas utile de préciser quâil évitait soigneusement dâaborder les questions intimes avec son employée: cela permettait de conserver intacte leur relation de travail.
â Vous savez quâelle mâa demandé de servir dâavocat à Davidowicz. Elle gagnerait à chercher quelquâun de compétent.
â Elle vous connaît depuis si longtemps, vous fait confiance.
Je respecte son désir de demeurer discrète sur sa situation.
Aller expliquer cela à des inconnus, même à des avocatsâ¦
Surtout, comme nous savons où se trouvait Davidowicz lors du crime, que son alibi est parfait, cela ne posera pas de difficulté.
â Ãlise ne veut pas que nous révélions sa liaisonâ¦
Son ton témoignait de tout le mal que lâavocat pensait de cet entêtement.
â Tôt ou tard, elle devra vaincre sa réticence. Remarquez, je la comprends. Ce sera la fin de la vie politique de Davidowicz. Quant à elle, je devrai la renvoyer. Imaginez la réaction des électeurs de Québec-Est sâils apprenaient quâune femme impudique travaille dans mon bureau! Les grenouilles de bénitier me mettraient en chômage.
â Si elle demeure silencieuse, lâalibi devient inutile. Je reviens donc à mon point de départ: cet homme devrait se trouver un bon criminaliste.
Renaud cherchait un moyen de se sortir dâun guêpier où il sâétait fourré lui-même, pour de mauvaises raisons.
â En réalité, opposa le ministre, je suis aussi très heureux de vous voir mêlé à cette histoire. Les policiers sont allés vers le premier suspect. En plus, il est Juif. Pour que le Parti libéral ne souffre pas trop de la situation, je tiens à ce que quelquâun incite la police à creuser un peu cette affaire, plutôt que de favoriser lâexplication la plus simple. Rappelez-vous 1925⦠Je ne veux pas dâune réédition de cette malheureuse histoire.
Lâallusion aux événements entourant lâassassinat dâune jeune fille survenu quatorze ans plus tôt fit grimacer Renaud.
â Si vous me prenez pour un détective, vous vous trompez. Lors de lâincident auquel vous venez de vous référer, les informations me sont arrivées par hasard. Je me suis toujours demandé ce que vous connaissiez de cet événement.
â Beaucoup plus que je ne lâadmettrai jamais. Mais pour revenir à votre rôle, ne jouez pas les modestes. Contrairement à tout le monde, vous désiriez savoir, et vous avez finalement su. Jâaimerais que vous cherchiez la vérité cette fois aussi⦠en traitant vos découvertes avec une prudence identique.
â ⦠Vous voulez dire quâil existerait un complot là aussi?
Lapointe lui adressa un sourire amusé.
â Du même genre? Je serais tout à fait étonné si câétait le cas. En tant que ministre fédéral de la Justice, je ne tenterai de soustraire personne à des poursuites. Dâaprès Ãlise, il y aurait bien une conspiration dans cette histoire.
En admettant que Davidowicz se trouvât avec sa maîtresse
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