L'Eté de 1939 avant l'orage
premiers sur la scène. Toute lâopération prenait un temps fou, car paradaient à tour de rôle les diplômés des Facultés et des écoles affiliées, puis ceux du cours classique de la région de Montréal à qui lâUniversité décernait un baccalauréat ès arts. Après deux heures dâennui, où seuls les parents fiers de leur progéniture trouvaient leur compte, et la brève et joyeuse envolée des mortiers vers le plafond du Théâtre Saint-Denis à la fin de la cérémonie, lâassistance put quitter la salle pour regagner le foyer où lâattendait un verre de mauvais vin blanc. La place manquait pour toute cette foule, les gens devaient sâégailler sur les trottoirs et même dans la rue devant le cinéma.
Son habitude de la langue anglaise valut à Renaud une directive de son doyen: faire en sorte que les deux anglophones présents ne se sentent pas comme des jésuites en pays iroquois. Pourtant, le colonel Bovery, de McGill, sâexprimait dans un français convenable alors que Kennedy colorait le sien dâun petit accent parisien du plus grand chic. Quâà cela ne tienne, ce fut avec la plus exacte prononciation oxfordish que Renaud les rejoignit pour déclarer:
â Messieurs, jâespère que notre cérémonie ne vous a pas paru trop longue.
â Pas plus que la nôtre, quoique je pense que nous pourrions couper au moins la moitié des bavardages, admit le représentant de McGill.
â Ou à tout le moins faire une cérémonie spécifique pour les diplômés de lâécole secondaire, affirma Renaud.
La prétention de ses compatriotes de faire passer pour des études universitaires les dernières années du cours classique paraissait ridicule aux yeux du professeur. En fait, la stratégie ne servait quâà jeter de la poudre aux yeux en gonflant les effectifs. Autrement, les autorités ecclésiastiques, et les politiciens à genoux devant elles, auraient dû admettre la faillite du système scolaire de langue française. Avec les quatre cinquièmes de la population de la province, les Canadiens français ne comptaient pas pour la moitié des diplômés universitaires.
â Monsieur Daigle, dans un tout autre ordre dâidées, lâenvie de changer dâemployeur ne vous est jamais venue? demanda Kennedy. Vous savez, Toronto nâest pas aussi ennuyeuse quâon le dit.
Le doyen Kennedy Åuvrait exactement dans le même champ dâexpertise que lui, lâhistoire et le droit constitutionnel, ils se croisaient sans cesse, notamment à Ottawa, dans les bureaux du gouvernement. La sympathie et le respect sâétaient développés entre eux.
â Sans vouloir vous vexer, je crois vraiment que votre belle ville est aussi ennuyante que le veut sa réputation.
Jâavoue que lâidée de travailler ailleurs me vient souvent, ne serait-ce que pour profiter dâune atmosphère propice à la recherche. Cependant, ce nâest pas la crainte des jours trop tranquilles qui mâempêche dâaller frapper à votre porte. Jâai des intérêts financiers à Montréal. Je perdrais trop en les liquidant.
En disant ces mots, Renaud regardait en coin le colonel Bovery. Ãvidemment, annoncer quâil pensait à quitter lâUniversité de Montréal en précisant quâil ne souhaitait pas quitter la ville, câétait faire un signe à lâUniversité McGill.
Son vis-à -vis ne cilla pas: rien nâindiqua chez lui un quelconque intérêt.
Un silence un peu gêné fit suite à cet appel du pied, puis Kennedy changea de sujet de façon tout à fait diplomatique:
â Vous avez vu les nouvelles ce matin? Vous croyez à la réédition des alliances de 1914?
La Patrie avait affiché en lettres de deux pouces de haut, en première page, toute lâeurope protégée par la triple alliance. En fait, les diplomates du Royaume-Uni et de la France multipliaient les efforts pour amener lâUnion soviétique à signer un pacte tripartite avec eux. Lâespoir était quâavec un adversaire à lâest et un autre à lâouest, Adolf Hitler y penserait à deux fois avant de déclencher une guerre européenne.
â En 1914, la Russie était dominée par le tsar, elle
Weitere Kostenlose Bücher