Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
aussi rapidement qu’ils se produisaient.
    â€” Monsieur Daigle, j’aimerais vous parler un instant.
    Auriez-vous l’extrême obligeance de m’entendre?
    L’accent sonnait trop pointu pour avoir été cultivé dans la belle province, où il était plutôt d’usage de mâcher la moitié des mots. Surtout, la kippa sur le sommet du crâne révélait son origine. L’entrée en matière était si polie que Renaud n’eut pas le cœur de le chasser.
    â€” Prenez place, monsieur…
    â€” Cohen. Samuel Cohen. Merci.
    Le visiteur se dirigea vers une petite chaise droite et s’assit sur le bout des fesses. Dans la pièce se trouvait un vieux bureau marqué de brûlures de cigarettes, vestige de l’occupant précédent, quelques étagères à peu près vides et un classeur métallique bosselé et couvert d’égratignures. L’Université de Montréal mettait à la disposition de son personnel des locaux bien spartiates.
    â€” Je suis étudiant en médecine. En fait, je viens de terminer les cours. Normalement, je devrais continuer mon internat et recevoir mon diplôme l’année prochaine…
    Le jeune homme marqua une hésitation, si longue que son interlocuteur le relança:
    â€” Vous devriez le poursuivre? Auriez-vous changé vos projets?
    â€” Non, bien sûr. J’ai obtenu une place à l’Hôtel-Dieu…
    Cependant, mes collègues menacent de se mettre en grève si je ne me retire pas.
    â€” Vos collègues? Vous voulez dire les médecins?
    â€” Non. Les autres internes. Ils prétendent que je n’ai pas le droit de voler un emploi à un catholique.
    â€” Je vois!
    Renaud prit une plume sur son bureau, un moyen de s’occuper les doigts en réfléchissant. Bien sûr, le mouvement d’«Achat chez nous» permettait d’empêcher la multiplication de nouveaux concurrents dans les professions.
    â€” Ont-ils le droit de faire quelque chose comme cela? demanda l’autre.
    â€” Quand vous parlez de grève, vous voulez dire qu’ils ne se présenteront pas au travail. On ne peut assimiler des internes à des travailleurs d’usine. Je suppose qu’ils se trouveront en rupture de contrat. L’hôpital devra en dénicher d’autres, mais je doute que ses directeurs entameront des poursuites. De nombreux diplômés se montreront sans doute heureux de prendre les places laissées libres.
    Le jeune médecin faisait visiblement des efforts pour maîtriser sa colère. Après une pause il précisa:
    â€” Tous les internes de l’Université de Montréal menacent de déclencher la grève. L’initiative vient de l’Association des étudiants de la Faculté de médecine. Cinq hôpitaux catholiques de Montréal seront touchés, s’ils mettent leur menace à exécution.
    â€” Oh! Ils se prennent très au sérieux, murmura Renaud.
    Vous pensez qu’ils peuvent vraiment aller aussi loin? Pareille action peut retarder leur entrée dans la profession.
    â€” Leur façon de me présenter la chose était très claire, brutale même. Les hôpitaux devront choisir entre eux et moi.
    Ils m’ont semblé très résolus.
    Le professeur n’avait aucun mal à le croire. Les étudiants se retrouvaient nombreux dans les associations nationalistes.
    Certaines, comme les membres de Jeune-Canada, ou pire encore, les Jeunes Patriotes, y allaient de déclarations racistes que les auteurs des lettres anonymes reçues par Davidowicz n’auraient pas désavouées. Ce fut à son tour d’attendre un long moment avant de reprendre la parole.
    â€” Je compatis de tout cœur avec vous. Vous n’êtes sans doute pas le seul étudiant juif à la Faculté de médecine. J’avais moi-même quelques-uns de vos coreligionnaires dans mon cours.
    â€” Je sais. Ce sont eux qui m’ont conseillé de vous parler.
    Ã€ l’époque de mon admission, nous étions sept.
    â€” Et maintenant?
    â€” Sept aussi. C’est peu. Même si la chose se pratique discrètement, des quotas sont appliqués. Comme à l’Université McGill.
    L’avocat n’allait pas contredire son visiteur. Les deux universités montréalaises ne réservaient que quelques places aux étudiants juifs, seuls

Weitere Kostenlose Bücher