L'Eté de 1939 avant l'orage
buissonnières. Pour cela, son domicile valait mieux: personne ne viendrait lây débusquer. Avec un peu de chance, il pourrait prendre le repas du soir avec sa petite famille.
Le vendredi 26 mai au matin, vêtu dâune toge et coiffé dâun mortier, la poitrine et les épaules décorées dâune épitoge aux couleurs de lâUniversité Oxford, là où il avait terminé un doctorat près de vingt ans plus tôt, Renaud prenait place parmi ses collègues tous revêtus dâun accoutrement semblable au sien. Un peu pour assumer son passé, beaucoup pour titiller la tolérance de ses pairs, tous convaincus que le Canada ne devrait pas se mêler des guerres européennes, notre homme arborait sur la poitrine une barrette aux couleurs des médailles que lui avait méritées lâannée 1916-1917, passée en alternance sur le front et dans des hôpitaux militaires.
Cela, de même que le souvenir de leur récente rencontre au Monument national, lui valut des salutations plutôt froides de ses collègues Vanier et Pouliot⦠et de quelques autres.
Quâà cela ne tienne, Renaud occupa sans vergogne son siège au parterre, à peu de distance de la scène du Théâtre Saint-Denis. LâUniversité de Montréal ne comptait en ses murs aucune salle assez grande et majestueuse pour tenir une cérémonie de collation des grades. Aussi, professeurs et étudiants envahissaient le grand cinéma de la rue Saint-Denis en matinée. Les propriétaires du commerce feraient un ménage rapide dès la sortie des notables afin que les amoureux des films de brigands puissent admirer la performance de James Cagney en après-midi.
Alors que la très haute administration universitaire prenait place sur les grands fauteuils tendus de velours rouge placés sur la scène, le professeur de droit jetait un regard de connaisseur à la grande bâtisse, supputant le nombre de places, lâassistance quotidienne, en un mot la rentabilité de lâendroit.
«Cela doit rapporter un petit pactole», murmura-t-il en admirant le décor de plâtre un peu kitch du plafond. Au cÅur du Quartier latin, à deux pas de la rue Sainte-Catherine, lâendroit ne devait le céder en rien au Théâtre Outremont.
Une fois le recteur et tous les membres du Conseil supérieur de lâUniversité bien installés sur leur siège, Son Excellence M gr Gauthier, archevêque coadjuteur de Montréal et chancelier de lâétablissement, ouvrit la cérémonie. Son premier souci fut de remercier le colonel Wilfrid Bovery, directeur des relations publiques de lâUniversité McGill, lâinatteignable concurrente, de sa présence. Le digne ecclésiastique enchaîna avec lâoctroi des doctorats honoris causa , des hochets semés à tous vents afin de récompenser des services passés ou solliciter des faveurs futures. Les trois premiers nâavaient pas trouvé utile de se déplacer: les juges Henri Lacerte et Gustave Leblanc, de même que lâhistorien archiviste Gustave Lanctôt, recevraient le document par la poste.
Seul celui qui venait de plus loin honorait lâUniversité de Montréal de sa présence. William Paul McClure Kennedy, fondateur et doyen de lâÃcole de droit de lâUniversité de Toronto, reçut un long hommage du chancelier. Lâecclésiastique retraça les grandes lignes de la carrière du récipiendaire, avant dâen venir au motif le plus important de lâhonneur qui lui était rendu:
â En outre, monsieur Kennedy a été un des défenseurs des droits du français dans notre pays. Ce rare mérite, lâUniversité de Montréal tient à le reconnaître et à le proclamer tout spécialement aujourdâhui.
Des applaudissements nourris soulignèrent ces paroles.
Un instant plus tard, un Kennedy ému reçut son parchemin avant dâadresser aux personnes présentes, dans un français impeccable, des remerciements et une invitation, en ces moments difficiles de la vie nationale, pour la tolérance et le respect entre les deux peuples fondateurs.
Ensuite, le professeur Ãdouard Montpetit ouvrit la collation des grades proprement dite: à tout seigneur, tout honneur, ce furent les diplômés de la Faculté de théologie qui défilèrent les
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