L'Eté de 1939 avant l'orage
les meilleurs étaient admis. Que tous les candidats en médecine de cette communauté membres de la promotion de Cohen se soient rendus au terme de leurs études témoignait à la fois de leurs aptitudes et de leur motivation.
â Les autres nâont pas eu de difficulté à trouver une place où faire leur internat? Je veux dire sans susciter de réaction hostile.
â Non, simplement parce quâils sont allés effectuer le leur à lâHôpital général juif.
â Pourquoi ne faites-vous pas comme eux?
Le jeune médecin se mordit la lèvre inférieure, souhaita offrir une réponse, sâarrêta, chercha à se redonner une contenance.
â Vous croyez quâil vaut la peine de faire reculer les barrières raciales? proposa finalement Renaud pour rompre le silence devenu trop lourd.
â Nous habitons la même ville, juifs, catholiques, protestants. Vivre en parallèle, sans jamais se croiser, ne fait quâencourager le racisme. Et puis la majorité de la population est canadienne-française. Elle connaît des conditions dâhygiène épouvantables. La tuberculose frappe ici beaucoup plus souvent que dans tous les autres territoires occidentaux. Cette population a besoin de tous les bons médecins qui se présentent à elle!
Renaud savait que ce diagnostic était exact. Les sanatoriums, nombreux, recevaient des milliers de jeunes gens, dont la plupart perdraient la vie. Les francophones mouraient de pauvreté, de mauvaise hygiène et de mauvais praticiens.
â Quâattendez-vous de moi?
â Je vous ai demandé si ces étudiants ont le droit de faire cela.
â Ils rompent un contrat. Cela pourrait leur valoir une poursuite au civil, mais je doute quâon en vienne là . Cela ne rendrait service à personne, les directions des hôpitaux vont sâabstenir de le faire. Le mieux serait de trouver un aménagement qui satisfasse tout le monde.
â Voudriez-vous me représenter? Je vous paierai, bien sûr. Pas tout de suite, mais bientôt je jouirai de revenusâ¦
â Vous représenter auprès de lâassociation étudiante?
â Et devant la Faculté de médecine. Je suppose que le doyen pourrait calmer les esprits de ces étudiantsâ¦
Cohen hésita un moment, cherchant comment compléter sa pensée, risqua très vite:
â Cela dâautant plus quâil semble les avoir montés contre moi. Les derniers contacts de Renaud avec cet homme lui faisaient penser que lâinterne avait tout à fait raison à ce sujet.
Il glissa:
â Vous me demandez de jouer un rôle délicat.
Lâavocat avait dit cela avec un sourire en coin. Les personnes les plus haut placées qui se montraient sympathiques aux Juifs se voyaient pourfendues par les nationalistes. Déjà , son intervention en faveur de Davidowicz lui vaudrait leurs foudres. Un journal de Québec, La Nation , avait qualifié Wilfrid Laurier de «crétin de Saint-Lin», cela parce quâau moment où il occupait le poste de premier ministre, il avait permis aux Israélites dâobtenir la citoyenneté britannique â on ne parlerait de citoyenneté canadienne que près de dix ans plus tard. Ce privilège était encore refusé à tous les Asiatiques en 1939. Si ce politicien élevé aux nues par ses compatriotes, au point où dans de nombreux foyers sa photo voisinait le grand crucifix noir des associations de tempérance, se méritait de telles épithètes, pour un modeste avocat ce serait lâenfer.
â Je sais que vous avez accepté dans le passé de défendre des accusés dont personne ne voulait sâoccuper. Même assurer la défense dâune femme accusée de parricide⦠Puis Davidowicz, pas plus tard que cette semaine!
Renaud leva la main pour arrêter son interlocuteur.
â Vous êtes bien informé. Inutile dâinsister. Je vais voir ce que je peux faire. Honnêtement, je ne crois pas que mon intervention vous aidera.
Dans les minutes suivantes, Renaud prit en note les coordonnées de son nouveau client, les noms des étudiants de médecine les plus actifs au sein de lâassociation. Puis Cohen quitta son bureau après sâêtre répandu en remerciements. Le professeur put ensuite donner libre cours à son projet de se livrer à des corrections
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