L'Eté de 1939 avant l'orage
contrôlait la Pologne, voisine de lâAllemagne. Maintenant, le pays est sous la botte de Staline. Sâallier à un régime communiste, cela me semble une hérésie, remarqua le colonel Bovery.
â Sans compter que les deux dictateurs, Staline et Hitler, ont sans doute plus dâaffinités entre eux que lâUnion soviétique nâen a avec les démocraties, renchérit Renaud.
â Mais ces deux tyrans ne peuvent pas faire front commun. Tout le monde semble dâavis que lâAllemagne, malgré ses excès, demeure la meilleure protection contre lâexpansion du communisme en Europe, opposa Kennedy.
Renaud profita du passage dâun serveur qui portait un plateau pour se départir de son verre vide avant de répondre:
â La première erreur des observateurs étrangers est de croire quâAdolf Hitler réfléchit rationnellement. Notre premier ministre, Mackenzie King, dit quâil sâagit dâun brave paysan qui nâa dâautre but que de restaurer lâhonneur de lâAllemagne, sans réelle visée expansionniste. Jâai même entendu dire quâil le comparait à Jeanne DâArc, qui a chassé les Anglais de France il y a cinq cents ans.
â Autant je le trouve habile à mener la politique intérieure, confessa Bovery, autant sa compréhension des enjeux internationaux me laisse perplexe.
â Sans doute parce que sa mère nây connaît pas grand-chose, murmura Renaud avec le plus grand sérieux.
Les deux autres étouffèrent un rire bref. Des Britanniques, Renaud aimait la littérature, le whisky, les vêtements et lâhumour fait dâ understatements et de double sens. Le premier ministre, vieux célibataire attaché à sa mère, avait suivi les conseils de celle-ci de son vivant et il continuait après sa mort. Car tous murmuraient à Ottawa au sujet de séances de spiritisme pendant lesquelles King demandait à la défunte des conseils très précis sur les décisions politiques, y compris la date des élections fédérales.
â Si je comprends bien, vous croyez que le projet de triple alliance avortera? demanda Kennedy.
â LâUnion soviétique et lâAllemagne lorgnent sur la Pologne, expliqua Renaud. Si les deux dictateurs arrivent à sâentendre sur la façon de la partager entre eux, ce sera le signal de la curée.
Le sombre pronostic laissa un moment les deux anglophones sans voix. Puis Kennedy revint encore à la charge:
â Ne regrettez-vous pas dâavoir quitté les services diplomatiques? Vous semblez vous passionner pour le sujet.
â à titre de Canadien, je pouvais entendre les décideurs du Royaume-Uni discuter entre eux, comme un enfant silencieux témoin des conversations des grandes personnes. En tant que Canadien français, on sâattendait à ce que jâaille chercher un verre dâeau quand lâun des grands hommes avait parlé jusquâà sâérailler la voix. Jâai autant dâinfluence sur le cours des événements internationaux en discutant avec des amis dans le hall dâun cinéma de Montréal que jâen avais au Haut-Commissariat canadien à Londres. Câest-à -dire aucune.
Alors je ne peux pas dire que je regrette mon passage là -bas.
Les deux autres protestèrent pour la forme, expliquant que les choses avaient changé depuis quelques années. Renaud Daigle ne jugea pas utile de rappeler que ses compatriotes de langue française comptaient toujours pour une quantité négligeable dans les officines du gouvernement canadien. Ce constat avait même été à lâorigine des revendications les plus vives des jeunes nationalistes découragés de ne se trouver aucun emploi, au plus fort de la crise.
Les collègues nationalistes de Daigle, à lâUniversité de Montréal, braillaient volontiers sur leurs malheurs alors quâils se trouvaient entre eux. Dâun autre côté, ils se montraient souvent pusillanimes, voire serviles, face aux Canadiens anglais. Notre homme, avec son accent oxfordish , son épitoge de lâUniversité Oxford et sa barrette de décorations militaires, affichait sa compétence et sa loyauté sans aucun atome de servilité. Aussi laissa-t-il ses éminents collègues des meilleures universités canadiennes se débattre
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