L'Eté de 1939 avant l'orage
quittée avec joie. Pendant des mois, il sâétait présenté auprès de ses amis comme le «fantôme du cinéma».
Virginie trouva une dizaine de recommandations à lui répéter, auxquelles le gros homme répondit chaque fois avec un «Oui, bien sûr» dâune voix égale. à la fin, elle céda à lâimpatience de sa fille qui trépignait en lui tirant la main et abandonna les lieux à son assistant.
En descendant lâescalier, Renaud demanda:
â Tu lui donnes les mêmes directives tous les soirs avant de partir, ou cette fois tu fais un spécial parce que tu quittes dix minutes plus tôt que dâhabitude?
â Je crois que je me révèle aussi insupportable tous les jours. En fait, je me suis retenue car jâavais des témoins.
La jeune femme gérait le cinéma depuis un peu plus de cinq ans, après avoir aidé son prédécesseur pendant deux ans.
Plutôt que de la voir déprimer parce quâelle ne concevait pas dâautres enfants, Renaud lui avait proposé la chose au moment de lâannonce de la retraite du vieil homme. Quand Nadja prit le chemin de lâécole un matin de septembre, à trente ans sa mère se dirigeait vers le théâtre pour occuper son premier emploi régulier. Le propriétaire de lâétablissement et la gérante nâavaient quâà se féliciter de lâinitiative.
Sa première action ce jour-là avait été dâengager un étudiant en rupture de collège et fâché avec sa famille, pour nettoyer les lieux en fin de soirée: Ãmile Chiasson. Maintenant, celui-ci pouvait la remplacer dans nâimporte laquelle de ses fonctions.
Quand la petite famille rentra à la maison, trois heures plus tard, après un repas à la terrasse du Café Pierre , la longue journée commençait à peser sur Renaud. Au moment de sâengager dans lâavenue de lâÃpée, il dut sâappuyer à un poteau de téléphone, pris dâune quinte de toux. La mère et la fille, dans le halo dâun réverbère, échangèrent un regard inquiet. En se remettant en route, Virginie saisit son bras et demanda:
â Dimanche, nous allons toujours à Sainte-Agathe?
â Tu crois vraiment que câest une bonne idée? Je me vois mal habiter là -bas cet été, et toi à Montréal.
â Je te rejoindrai les fins de semaine, bien sûr.
â Et à compter de la fin des classes, je serai avec toi, ajouta Nadja, pendue à son autre main.
Ils continuèrent en silence jusquâà la maison. Une fois passée la porte, la fillette étouffa un bâillement, sâenquit tout de suite auprès de Julietta, descendue pour vérifier qui entrait, de lâendroit où se cachait son chat. Alors quâelle montait les marches quatre à quatre, Virginie utilisa son argument imparable:
â Tu ne trouves pas Nadja un peu pâle? Le médecin mâassure que deux mois au grand air lui feront le plus grand bien. Elle devra travailler très fort à compter de septembre, dans sa nouvelle école.
Bien sûr, dans cette maison personne ne pouvait refuser quoi que ce soit à la gamine, son père moins que les autres.
â Si je vais là -bas, il faut que tu sois là toutes les fins de semaine, pendant deux jours, et pendant tout le mois de juillet.
â Je ne peux pas abandonner le cinéma si longtemps.
â Ãmile peut très bien prendre le relais.
â Il travaille déjà cinquante heures par semaine.
â Cela ne lui demandera pas plus de temps. Nous lâaugmenterons. Voilà une éternité quâil rêve dâautomobile, il pourra enfin se payer sa petite Chevrolet.
Elle commençait à faiblir, lâentente se conclurait bientôt.
â Deux semaines en juillet.
â Trois. Pas un jour de moins.
â Entendu.
Un baiser scella le marché. Tout le monde gagnait, dans cette histoire. Alors que Virginie croyait que la santé de Nadja avait fait fléchir son mari, celui-ci arrivait à ramener lâhoraire de sa femme à des proportions plus raisonnables.
Restait maintenant à trouver une maison.
â Monsieur Daigle, monsieur, cria Julietta depuis la porte dâentrée de la maison, il y a quelquâun au bout du fil pour vous.
En maugréant, lâavocat revint sur ses
Weitere Kostenlose Bücher